Cercle Condorcet de la Savoie
Cercle Condorcet de la Savoie

Diplomatie, Armées et Développement au Sahel

  • Le 25/02/2020
  • 0 commentaire

Retrouvez ici le texte qui a servi de support à l'intervention d'André Bailleul lors de la conférence du 10 février

DIPLOMATIE, ARMÉE ET DEVELOPPEMENT AU SAHEL

Par André BAILLEUL *


 

La diplomatie et la défense sont deux fonctions régaliennes de l'Etat, étroitement liées qui entretiennent des relations très complexes ; elles font partie du domaine réservé du chef de l'Etat. Le développement est une action extérieure de la France au nom de la solidarité internationale pour favoriser l’amélioration des conditions vie de populations de pays pauvres. L’Afrique, du fait de notre histoire coloniale, reste la priorité de notre aide au développement, y compris en matière de sécurité. L’armée française intervient en 2013 au Mali, puis dans les états voisins, pour contrer l’avancée de djihadistes : elle joue un rôle essentiel dans divers dispositifs pour maintenir la paix et favoriser le développement.

I : Une longue histoire particulière

1-Aspect spécifique

1-1 L'indépendance des états africains en 1960 s'est faite sous le régime de la coopération à travers des accords de défense et d'assistance militaire pour les armées et d'accords techniques pour la coopération civile concernant le développement ; Il n'y a pas eu de rupture mais maintien de liens reposant sur une culture civile et militaire commune du fait d'appartenance aux mêmes structures de formation, de rapports étroits de camaraderie et de fraternité d'armes ou d'écoles (les présidents Pompidou et Senghor sont condisciples à l’école normale supérieure). La France a maintenu des troupes sur des bases militaires, véritables enclaves extraterritoriales, dans des pays qui lui sont proches (Sénégal, Côte d'Ivoire, Gabon, Djibouti, Cameroun, Madagascar) où elle avait des intérêts économiques et financiers avec une forte présence d'expatriés. Les accords de défense restent secrets ; ils sont à mi-chemin entre défense extérieure des états et action de police intérieure en faveur des régimes en place. Il faut replacer aussi cette situation particulière dans le cadre de la guerre froide, de la lutte "Est-Ouest" après la deuxième guerre mondiale qui se termine à la chute du mur de Berlin en 1989. Les armées françaises vont entreprendre plus de quarante interventions dont les objectifs sont différents : politiques pour le maintien en place du chef d'état ou pour favoriser son remplacement, militaires, humanitaires, parallèles, sous couvert de l'ONU, avec l'Union Européenne. Ces interventions peuvent être en même temps politiques, militaires et humanitaires comme au Tchad. Elles sont décidées par le président de la République, chef des armées, sans contrôle parlementaire. .......

1-2 C’est en 1997 que le ministère de la coopération, ministère de l'Afrique, qui a en charge son développement, est intégré aux affaires étrangères. Aujourd'hui la coopération de sécurité et de défense est une composante importante de l'action diplomatique de la France mise en œuvre par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) dans le continuum "défense-sécurité et "sécurité-développement. Le ministère des Armées est seul compétent pour les interventions opérationnelles, notamment les opérations extérieurs (OPEX) qui sont des interventions des forces militaires françaises en dehors du territoire national qui peuvent faire appel aux troupes pré-positionnées. Quant au développement, intégré à la diplomatie en 1997, il a été affecté, secteurs par secteurs à l’Agence Française de Développement (AFD)qui avait les compétences techniques, y compris des secteurs régaliens comme la gouvernance.

Depuis les indépendances les militaires occupent le terrain et ont une bonne connaissance des hommes et de leur environnement. Il y a une tradition militaire africaine contrairement aux diplomates du Quai d’Orsay qui voient dans une mission en Afrique un aspect négatif pour leur carrière. Les ambassades n'ont que peu de spécialistes africains contrairement aux militaires dont le tropisme africain est valorisé. Il est donc normal comme le souligne Rémi Carayol dans le Monde diplomatique "qu'au Sahel, les militaires évincent les diplomates".

2- La crise politique au Sahel

2-1 La révolution islamiste en Algérie ayant échoué, de petits groupes armés du Groupe Islamique Armé (GIA) et du Groupe Salafiste pour le Combat et le Salut (GSPC) se sont réfugiés en 1990 dans le septentrion malien, l'Adrar des Ifoghas. Ces groupes armés se sont greffés à des groupes touaregs maliens en rébellion ouverte depuis 1962 avec le pouvoir central dont certains, comme le Mouvement National pour la Libération de l'AZAWAD (MNLA) réclament l'indépendance de leur région. Le délitement du pouvoir central malien miné par une forte corruption, l'absence de développement, l'impunité et les exactions de l'administration malienne ont renforcé ce sentiment "indépendantiste". Les populations du septentrion se sont lancées dans le rapt des occidentaux, dans le trafic de drogue et des armes créant une économie mafieuse leur permettant des revenus financiers très importants. Une coalition engagée par SARKOZY et CAMERON sous mandat de l'ONU a conduit à l'éclatement de la Libye et renvoie au Mali un millier des touaregs qui avaient intégré la légion verte islamiste de Khadafi avec un équipement militaire lourd pillé dans les arsenaux libyens ainsi que des milliers de travailleurs sahéliens. Tous les ingrédients sont réunis pour que se constitue une greffe avec Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) apparu en 2007. Aujourd'hui c'est la fusion de groupes islamistes armés qui forment le « groupe de soutien à l'islam et aux musulmans » (GSIM), sous la direction d'un touareg, Iyad Ag Ghali, qui agit au nord.

2-2 Dans le même temps à Bamako, le président Amadou Toumani TOURE est renversé par un coup d'état militaire du capitaine SANOGO en Mars 2012. Condamné par les états de la CEDEAO, un régime civilo-militaire provisoire dirigé par Dioncounda TRAORE, président de l'assemblée nationale, est mis en place pour préparer les élections. Il fait appel en Janvier 2013 à la France alors que les groupes islamistes menacent de s'emparer de la capitale Bamako. Débute alors l'opération SERVAL préparée par l'Etat major des armées françaises qui a su convaincre le président HOLLANDE pour bloquer l'avancée des groupes islamistes. Les élections amèneront au pouvoir le président Ibrahima Boubacar KEITA, vieux routier de la politique malienne.

Le succès rapide de SERVAL (1 700 militaires projetés avec du matériel lourd) va faire aussi son malheur puisque les groupes islamistes, sous la poussée du rouleau compresseur militaire français, éclateront dans tout le nord du pays, puis se répandront au centre de la région et ultérieurement dans quelques pays voisins provoquant souvent une collusion entre trafiquants et islamistes. Pour répondre à la prolifération des groupes armés, SERVAL va fusionner avec le dispositif EPERVIER au Tchad pour se transformer en Août 2014 en BARKHANE couvrant 5 pays : la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad.

L’intervention de l'armée française à toute la zone de la bande sahélo-saharienne est sollicitée par les chefs d'états et présentée comme nécessaire au maintien de la paix dans cette région, d'évitement de la contagion djihadiste dans les pays voisins et in fine d'être une garantie à la sécurité de l'Europe. Le président malien ne cesse de rappeler aux européens que le Mali est "le verrou sécuritaire de l'Europe".

3- l’effondrement des Etats sahéliens et les dispositifs d’appuis à la paix.

3-1 Face à des gouvernements secoués par des scandales réguliers de corruption, incapables de répondre aux besoins minimaux d'éducation et de santé envers les populations, dont ceux fondamentaux de sécurité et de justice, face à des armées inopérantes et peu regardantes sur l’éthique, les populations rurales abandonnées se sont rebellées contre un pouvoir central coercitif. Les discours de "pureté" tenus par les djihadistes font appel à la charia et leur promettent protection et financements. Les prêches reçoivent un réel écho parmi les populations marginalisées, surtout auprès des jeunes qui n'ont aucune opportunité d'emplois. Par ailleurs la démocratisation a exacerbé les compétitions intercommunautaires dans une surabondance politicienne. C'est ainsi que les islamistes armés ont réussi à s’enraciner au Sahel, à y exploiter les vieilles rivalités ethniques ou profiter de nouvelles oppositions comme celles entre cultivateurs et pasteurs dues à la rareté des terres et de l'eau et qui ont entrainé des tueries par exemple entre peuls et dogons. La compétition est d'autant plus grande que la désertification gagne chaque année des milliers d'hectares.

3 -2 Le Sahel est déstabilisé et certains états voisins des pays du G5 Sahel sont très inquiets, notamment le Sénégal et la Cote d’Ivoire qui sont les deux poumons économiques de l'union monétaire et économique des états d'Afrique occidentale (UMEOA). Des spécialistes estiment qu'après SERVAL, l'armée française aurait dû quitter le Mali laissant à toutes les composantes de la société malienne le règlement de la crise, y compris négocier avec les groupes djihadistes : « les interventions militaires les meilleures sont les plus courtes ». Le Nigeria où la situation avec Boko Haram n'est pas pire qu'au Mali ou au Burkina Faso, n’a reçu le secours d’aucune armée étrangère. La solution ne peut venir que par un dialogue entre les différentes parties au conflit et non d'une intervention extérieure. Cette guerre asymétrique qui s'étend rend inéluctable le déploiement des djihadistes à travers le Sahel qui bénéficient désormais de l'apport de combattants de Syrie et d'Irak. Le sud libyen est aujourd'hui la réserve en hommes et en matériels des différentes troupes djihadistes, l’Algérie ayant nettoyé son sud.

3-3 La recherche de la paix reste l'objectif affiché du gouvernement malien qui a multiplié depuis 2013 de nombreuses réunions avec les différentes parties à la crise. Le problème de fond est que les parties sont à géométrie variable et que les interlocuteurs changent de position régulièrement dans des alliances selon leurs intérêts. Après la conférence sur la paix de Ouagadougou en 2013, c'est un autre accord de paix conclu à Alger en Mai-Juin 2015 entre le gouvernement et 9 groupes armés. L'un des objectifs était la refonte de l'armée nationale, le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) d'une partie des combattants dans l'armée avec des élections directes pour des assemblées régionales etc... Les groupes rebelles ont des intérêts et des appréciations différentes sur la nature de l'Etat (califat ou régime démocratique), la sécurité au Sahara au sein de communautés très divisées et fluctuantes quant à leur représentation. La France est condamnée à rester car elle est prisonnière d'une logique d'affrontement, de lutte pour les valeurs occidentales et de maintien d'une stabilité des pays sahéliens, sollicitée par les chefs d'états dont elle est leur garant en premier ressort. Certes on peut regretter que la France ne soit pas intervenue dans le cadre d’une coalition européenne avec un objectif d’approche globale de la gestion de crise incluant les outils non militaires comme la négociation diplomatique, l’aide au développement et des missions de police mais l’urgence de la situation en janvier 2013 était telle qu’il fallait intervenir sans délai.

3-4 Aujourd’hui la France est ouvertement critiquée, parfois en termes violents, au motif qu'elle est incapable de résoudre le problème sécuritaire malgré une puissante armée et des moyens sophistiqués d'écoute et de renseignement. Les libérateurs d’hier sont devenus les envahisseurs d’aujourd’hui. Les "fausses nouvelles" et montages artificiels en tout genre fleurissent sur les réseaux sociaux. Il faut rappeler que les 4500 hommes de Barkhane dont 2000 sont des appuis à la logistique qui interviennent sur un espace grand comme l'Europe ne peuvent éradiquer tous les groupes islamistes estimés à 3000 hommes qui se répandent dans le Sahel. Aucune stabilisation n'est possible sans retour de la sécurité. Leurs exactions ont provoqué la fuite et privent de revenus les populations rurales qui vivaient du tourisme et de la coopération décentralisée extrêmement développée.

3-5 - Les dispositifs militaires et civils d'appuis à la paix sont très nombreux et la multiplicité des intervenants bi et multilatéraux, des ONG, des associations rend la coordination très difficile donc nuit à leur efficacité. Parmi-eux :

3-5-1 La force française BARKHANE dont le poste de commandement est à N'DJAMENA comprend 4 500 hommes. Elle a pour mission d'aider les pays du G5 Sahel à stabiliser la région, d’éviter toute sanctuarisation des djihadistes et de former les armées ; elle intervient en partenariat avec les armées nationales. Le dispositif a été redéfini lors de la réunion de PAU du 13 janvier entre les cinq chefs d’états du G5 Sahel et le président MACRON. Elle est renforcée dans ses moyens (600 hommes en plus) en mettant en place « une coalition pour le Sahel » rassemblant dans un commandement conjoint les troupes du G5 et de Barkhane avec une nouvelle stratégie. Barkhane viendra en soutien des troupes du G5 avec d’autres partenaires européens non encore identifiés. Les opérations militaires sont centrées sur la zone des 3 frontières contre un ennemi identifié, l’EIGS. L’armée malienne se réinstallera à KIDAL que quittera progressivement Barkhane. Les forces spéciales formeront dans un dispositif Takuba leurs homologues africains auquel certains états européens participeraient

3-5-2 La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) est l’une des missions les plus importantes des Nations unies (12 000 personnes) qui n’a pas de mandat pour combattre mais pour assurer la paix. Régulièrement attaquée, elle a payé un lourd tribut : plus de 200 soldats sont morts depuis sa mise en place

3-5-3 Le G5 Sahel, est une organisation de coopération militaire entre cinq des pays de la région. En novembre 2015, les chefs d'états de Mauritanie, du Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad réunis en sommet décident de créer une force conjointe pour lutter contre les groupes djihadistes qui essaiment dans la région. Les chefs d'états du G5 se plaignent que les financements internationaux promis n'arrivent pas malgré tous les engagements pris et maintes fois confirmés à l'occasion des nombreuses réunions internationales sur la Paix et la situation du Sahel.

3-5-4 La Mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM Mali), lancée en février 2013, réunit 620 militaires de 238 pays européens dont 12 français, avec une mission de formation des militaires maliens, sans participer aux combats.

II : Le Développement au Sahel

L’aide publique au développement française (APD) en 2018 était de 10,3 MDS $ selon l’OCDE représentant 0,43 % du revenu national brut (RNB), au 5é rang mondial. Il y a 19 pays prioritaires, plus spécialement ceux du SAHEL dont 50% au minimum de subventions dont les 2/3 sont mises en œuvre par l’AFD qui en 2018 a engagé 5,6 MDS € pour 44 pays africains.

2-1 " Il n'y a pas de développement sans sécurité » disait-on autrefois au feu ministère de la coopération mais force est de constater qu’« il n'y a pas de sécurité sans développement ". C'est ce constat fait par le président MACRON qui, en Aout 2018, à l’occasion de la réunion des ambassadeurs, a développé la complémentarité des 3 D : Diplomatie, Développement, Défense. Cette nouvelle stratégie fait des militaires de nouveaux acteurs du développement. Ils ont des représentants au sein des structures de l’Agence française de développement (AFD) comme celle-ci a détaché quelques-uns de ses cadres auprès de l'armée. Cette coopération civilo-militaire (CIMIC) coordonne sur une zone d'intervention les actions de l'AFD, des ONG et d'autres acteurs du développement permettant de faciliter la présence des forces militaires. Rien ne sert de creuser des puits si l'on ne s'assure pas des modalités d'adhésion et de gestion des populations pour pérenniser ces actions de développement : de même pour les écoles ou centres de santé construits sans personnels, ceux-ci fuyant les régions à cause des assassinats des personnels. Lorsque les armées ont procédé à la reconquête de territoires, il faut absolument que les administrations se réinstallent pour occuper le terrain et répondre aux besoins des populations, à commencer par leur protection, sinon ces opérations ne servent à rien car les terroristes reviendront avec des risques de punitions pour ceux qui auraient « collaboré ».

2-2 L’Alliance Sahel, lancée en 2017 par la France, l’Allemagne et l’Union européenne, rejointe par la BM, la BAD, le PNUD, l’Espagne, l’Italie, le Royaume Uni, le Luxembourg, le Danemark et les Pays Bas, a été créée pour améliorer l’efficacité de l’aide au développement dans la zone et être l’interlocuteur du G5 Sahel sur les questions de développement. 680 projets ont été identifiés pour un montant de 9 milliards $. Il n'y a pas moins de 14 stratégies différentes avec pour chacune des institutions. Pour cela elle essaie de coordonner l’action des grands partenaires du développement dans la région afin d’accélérer la mise en œuvre d’actions qui correspondent directement aux besoins exprimés par les populations. Les 6 secteurs clefs sont ciblés : i) l’éducation et l’employabilité des jeunes, ii) l’agriculture, le développement rural et la sécurité alimentaire, iii) l’énergie et le climat, iv) la gouvernance, v) la décentralisation et l’appui aux services de base, vi) la sécurité intérieure. Le G5 a signé un accord de partenariat avec l’Alliance afin d’accroitre la coordination et déterminer les besoins des pays du G5 Sahel.

2-3 Les 22 projets français de développement retenus sont mis en œuvre par l’AFD sous deux modalités : une première phase de mise en œuvre rapide par des ONG françaises, sahéliennes et une 2é phase avec des composantes plus structurelles sous maitrise d’ouvrage nationale permettant des impacts à plus long terme. Il y a des difficultés d’exécution à cause de l’insécurité. L’AFD s’appuie sur les collectivités locales en leur donnant plus de place dans la maitrise d’ouvrage. Les engagements sont de 2,11 MDS € sur 6 ans dont 709 M€ en 2017-18. Les versements accélérés sont de 1,13 MD sur 6 ans dont 505 M€ en 2017-18. En termes d’impact les projets ont permis : i) de scolariser 1 283 000 enfants dont 48 % de filles, ii) de réhabiliter 1,2 millions d’ha (biodiversité et espaces naturels), iii) de soutenir 1055 exploitations touchant 3,8 millions de personnes, iv) d’améliorer en matière d’eau et d’assainissement les capacités de production et de sensibilisation à l’hygiène pour 600000 personnes, v) d’améliorer l’accès aux soins pour 7,9 millions de personnes et une meilleure protection sociale pour 251 538 personnes avec 3,8 millions d’enfants vaccinés, vi) d’investir 64 M€ dans le secteur privé etc…

Il faut souligner la diplomatie d’influence mise en œuvre par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères dans les domaines de la coopération culturelle, universitaire, scientifique et linguistique voit chaque année ses crédits diminuer attractive dans les pays du Sahel. Les centres culturels français sont les seules structures qui participent au développement de la culture locale et promeuvent artistes, acteurs et réalisateurs de spectacles.

2-4 Le Sahel reste une des zones les plus pauvre et les plus fragile au monde en termes de développement. Selon l’indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (15), les pays sahéliens sont dans les derniers au classement mondial des 228 pays classés en 2017 : Niger 228é, Tchad 224é, Burkina Faso 221é, Mali 220é, Mauritanie 198é. Les conclusions de nombreux rapports d’évaluations ou d’études des bailleurs de fonds notent le peu d’efficacité des programmes d’aide au développement et la faiblesse des résultats. En forçant le trait, on peut dire qu’ils ont financé de l’aide, mais sans développement. Le revenu par tête d’habitant des pays sahéliens est aujourd’hui plus faible qu’il n’était à l’indépendance. L’OCDE estime que le Mali a reçu une aide annuelle d’un milliard $ pendant ces dix dernières années. C’est donc un constat général assez négatif de l’impact de l’aide au Mali et on comprend mieux pourquoi ce pays, qui est un des plus aidé, se soit effondré. Cela tient d’abord à la mauvaise gouvernance générale, à tous les niveaux mais aussi aux aspects négatifs que génère l’aide elle-même par l’afflux de programmes portés par les bailleurs dans des compétitions d’experts. Le FMI estimait en Mai 2018 qu’il y avait de trop graves lacunes dans la gestion de l’investissement public, le Mali perdant 43% de la valeur de cet investissement en raison des couts supplémentaires de la corruption, des surfacturations, des fraudes et des retards, ce qui aggrave une frustration sociale à cause des lenteurs. Les trois pays les plus touchés (Mali, Burkina Faso, Niger) ont doublé leurs dépenses militaires passant de 5,4% de leur PIB à 10,6 %, représentant une hausse de 540 M€, permettant de doubler les effectifs, d’augmenter le soldes et indemnités, autant d’argent qui ne va pas à la santé, à l’éducation ou aux infrastructures. Pourtant les états sont toujours dans l'incapacité technique et financière d'assumer leurs charges militaires, encore moins le développement de leurs pays. Les bailleurs sont obligés de déléguer la réalisation de leurs projets à des ONG locales ou à des entités administratives comme les mairies. Il est impossible de faire des revues de projets et il faut s’en remettre aux comptes rendus que font les opérateurs locaux.

Le Sahel connait actuellement un besoin d’aide alimentaire pour 9,5 millions de personnes bien qu'il ne manque pas de céréales car la production est estimée à 75 millions T soit une hausse de 14% sur 2018 ; le problème est celui de leur distribution, l'accès aux marchés étant extrêmement difficile à cause de l'insécurité. Plus de deux mille écoles ont été fermées depuis 20017 au Mali, Niger, Burkina Faso. Et pourtant, le développement économique du Sahel enregistre depuis une dizaine d’années une croissance annuelle entre 3 et 5,5 %, toutefois insuffisante pour répondre à la croissance de la population.

***

L'avenir du Sahel est sombre. Djihadistes et narcotrafiquants ont des intérêts communs, sources de revenus importants mais aussi d'instabilité ; on voit difficilement comment arrêter ces trafics sur cet immense espace avec les moyens militaires actuels, même renforcés après la réunion du G5 à PAU. La première priorité est le désarmement des groupes armés non étatiques et la reprise en mains de la sécurité avec des discussions inclusives avec tous les groupes armés. La deuxième priorité est la reconstruction d'un état fort, impartial, juste au service des populations qu'il a abandonné depuis des décennies tout en tenant compte des normes traditionnelles et institutions coutumières. La troisième priorité est un fort investissement dans l’agriculture des zones rurales abandonnées. La quatrième priorité est une reprise du secteur éducatif à l’abandon et l’insertion des jeunes dans l’économie par la formation professionnelle. La cinquième priorité est un réarmement moral de la société dans toutes ses composantes et une lutte idéologique par l’Etat et les religieux contre le salafisme. Cela parait difficile tant le pouvoir central est noyé dans une corruption généralisée. Il faudra beaucoup de temps pour convaincre cet agglomérat d'ethnies fracassées, en lutte les unes contre les autres. Les compétitions inter ethniques pour l'accès à l'eau et à la terre déstabiliseront les campagnes et amèneront les groupes communautaires à se faire justice. Les jeunes toujours de plus en plus nombreux, sans terres et sans emplois, continueront à émigrer ou à s'engager dans le djihadisme qui leur offre un avenir à cause des injustices sociales qui perdureront. Seuls existeront des pôles de développement dans les capitales et grands centres régionaux qui concentreront les activités économiques, financières et culturelles. Le Sahel ressemblera à un gruyère ; un gros morceau avec des trous. Souhaitons que ces trous ne s'agrandissent jusqu'à faire disparaitre le fromage grignoté petit à petit par les rats djihadistes...Peut-être y aura-t-il un jour une république islamique du Mali au cœur du Sahel ?


 

*André BAILLEUL est conseiller des affaires étrangères (er), docteur d’Etat en droit et ancien stagiaire de l’ENA. Il a fait l’essentiel de sa carrière dans la coopération et le développement de 1970 à 2012 dont 30 années en résidence dans des pays d’Afrique subsaharienne. Il est l’auteur de nombreux rapports et articles consacrés à la vie politique africaine et au développement.

Ajouter un commentaire