Peut-on tout dire, tout écrire tout exposer ?
Le 04/06/2019
La liberté d’expression, comme l’une des libertés individuelles, fut proclamée à plusieurs reprises, pour le territoire français : 26 août 1789, Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (articles 10 et 11) ; 29 juillet 1881, Loi sur la liberté de la presse ; 10 décembre 1948, Déclaration universelle des droits de l’homme (article 18 et 19) ; 14 novembre 1950, Convention européenne des droits de l’homme (articles 8 et 10); 16 décembre 1966, Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Cette succession et répétition de textes juridiques peuvent être comprises comme une réaffirmation de la liberté d’expression répondant à des mouvements de contestation.
La liberté d’expression est, aujourd’hui, multiple et diverse. Bien que non illimitée, elle recouvre un vaste domaine comprenant des formes d’expression (orale/écrite/image), des supports (papier/onde/électronique), des vérifications de contenu (vérité/mensonge), des modalités de contrôle (censure/répression/réparation/rectification), des circonstances de lieux (expression publique/expression privée) et des immunités (prétoire/assemblée nationale/sénat).
Tout n’est pas, juridiquement, possible
Divulgation de l’orientation sexuelle. Un secrétaire général d’un parti politique attaque en justice l’auteur et l’éditeur d’un ouvrage qui révèle l’orientation sexuelle de cet homme et d’autres dirigeants du même parti. Le juge refuse de condamner l’auteur, au motif que les interrogations de l’auteur de cet ouvrage sur l’évolution de la doctrine d’un parti politique, présenté comme plutôt homophobe à l’origine, et l’influence que pourrait exercer, à ce titre, l’orientation sexuelle de plusieurs de ses membres dirigeants relevaient d’un débat d’intérêt général (Cass. civ. 1ère, 11 juillet 2018).
Caméra cachée. Une chaine de télévision effectue un reportage sur une femme qui avait déclaré faussement et à plusieurs reprises, sur les réseaux sociaux, qu’elle était atteinte d’affections graves. Pour illustrer ses propos, le journaliste avait interrogé, en caméra cachée, un médecin, mais celui-ci était, dans la séquence retenue, identifiable pour ses patients. Les juges condamnent le producteur du reportage pour non respect du droit à l’image (Cass. civ. 1ère, 29 mars 2017).
Photographie de presse. Une enseignante donne son accord pour être photographiée lors d’un reportage de presse dans son école, autorisé par sa hiérarchie. La photo est ensuite vendue à une agence qui l’utilise pour illustrer un autre sujet. Cette utilisation est fautive (Cour d’appel de Paris, 27 septembre 2017).
Internet. Les juges sanctionnent un contribuable qui a diffusé sur son blog une séquence filmée avec le consentement d’un inspecteur des impôts qui n’avait pas été interrogé sur cette diffusion (Cass. civ. 1ère, 15 janvier 2015) alors que d’autres juges refusent de sanctionner un homme qui a diffusé, sur les réseaux sociaux, une photographie de son ex compagne qui, enceinte, avait accepté d’être photographiée nue (Cass. crim., 16 mars 2016).
Action bâillon. Le bénéficiaire d’une procédure d’arbitrage, monsieur T., tente d’obtenir d’un juge qu’’il condamne pour diffamation, un professeur de droit qui, dans une interview à un hebdomadaire, déclare que la procédure d’arbitrage est illégale. Il retire sa plainte au dernier moment et se trouve condamné à payer 35 000 € au professeur pour procédure abusive (Trib. correctionnel Paris, 2 décembre 2011).
Œuvre de fiction. Une chaine de télévision réalise et diffuse un téléfilm présenté comme une fiction mais s’inspirant d’une affaire criminelle et incluant des épisodes de la vie intime des protagonistes identifiables de l’affaire criminelle. Elle est condamnée pour atteinte à la vie privée (Cass. civ. 1ère, 30 septembre 2015).
Caricature. Un hebdomadaire français reproduit des caricatures de Mahomet, dont plusieurs ont été préalablement publiées dans un journal danois. Plusieurs associations attaquent le directeur de la publication pour injures publiques envers un groupe de personnes à raison de sa religion Les juges décident que l’infraction n’est pas constituée parce que les caricatures ne visent clairement qu’une partie de la communauté musulmane (Cour d’appel Paris, 12 mars 2008).
Revenant aux textes fondateurs (Déclaration des droits….), nous pourrions mener une réflexion philosophique, politique et sociologique, sur la liberté d’expression en démocratie (pour ceux qui veulent nourrir cette réflexion voir Géraldine MUHLMANN, La liberté d’expression, Dalloz, 2016, 3€).
Michel Julien vous propose un objectif différent. Le principe de la liberté d’expression étant admis, la règlementation française comporte de nombreuses limites.
Nous allons partager notre réflexion sur ces limites.
Nous pourrons débattre sur les justifications de ces limites qui sont tantôt d’intérêt général (la collectivité nationale), tantôt d’intérêt collectif (une communauté de citoyens) ou tantôt d’intérêt individuel (une personne juridique considérée isolément).
La tradition juridique française ne reconnaissant pas d’autonomie à l’intérêt collectif par rapport à l’intérêt individuel, il vous propose de porter notre débat sur trois familles de justifications des limites dans l’exercice de la liberté d’expression :
- 1) l’intérêt général (l’instruction judiciaire, le service public administratif, la provocation aux crimes et délits, l’apologie des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre, la diffusion de nouvelles fausses, le secret défense, le secret professionnel et le secret des affaires),
- 2) la vie privée des particuliers (la sphère privée constituée de la vie sentimentale, sexuelle, familiale, de l’intimité corporelle, de l’identité civile, de l’image…., mais également du droit à l’oubli sur internet),
- 3) l’honneur et la dignité de la personne (présomption d’innocence, diffamation, injure, dénonciation calomnieuse).