Vivre ensemble - Manger ensemble
Le 17/10/2017 à 18:30
- Saint Jean de Maurienne
Un texte pour mieux comprendre
Vivre ensemble, manger ensemble…
La diversité culturelle humaine se manifeste particulièrement dans la diversité culinaire. Richesse indéniable au sein de chaque peuple et occasion d’échanges multiples. Nous abordons ici une question plus spécifique, celle des interdits religieux alimentaires et de leur gestion dans une République laïque.
Le marché du halal en France est estimé à 5,5 milliards d’euros. Celui du casher a 380 millions. Les deux marchés progresseraient d’environ 15 % par an, même s’il est bien évident que toutes les personnes se définissant comme musulmanes ou juives ne suivent pas les prescriptions alimentaires des deux religions. Dans un pays, la France, qui se définit comme une République laïque, et où l’identité nationale est si fortement corrélée avec l’identité gastronomique, comment gérer ces pratiques culinaires confessionnelles ?
Il va de soi que chacun se nourrit comme il l’entend. C’est une liberté élémentaire mais décisive. Elle est une des conséquences concrètes de la liberté de conscience garantie à chacun, croyant ou non, par la laïcité républicaine. Le rôle de l’Etat républicain est de garantir cette liberté comme un des aspects du libre exercice des cultes. Il existe des controverses internes aux cultes. Ces désaccords ont pu aller jusqu’au recours aux tribunaux pour déterminer la légitimité des opérateurs et la valeur de leur expertise. C’est aux musulmans et aux juifs qui se sentent concernés de débattre de la qualité des certifications, des organismes et des personnes qui en sont chargées. Ce n’est pas à l’Etat de les régler.
Les prescriptions et interdits religieux sur l’alimentation suscitent également des débats publics. Il s’agit de poser clairement les questions qui interpellent toute la société. Et de tenter de proposer des solutions rationnelles admissibles par tous. Il est essentiel de débattre en impliquant toutes les parties concernées. Et de débattre à distance des turbulences médiatiques qui abordent pour la plupart ces questions par le fait divers, l’émotionnel et le spectaculaire. Deux questions nécessitent des réponses précises du point de vue laïque. Celle de la redevance acquittée auprès de représentants des cultes concernés. Et celle de la souffrance animale causée par l’abattage rituel sans étourdissement.
La taxe d’abattage
Le Consistoire de Paris et des organismes de certification musulmans se chargent des procédures d’exécution, de certification, de contrôle des produits et des procédures des abattoirs. La question de la taxe rétribuant la certification est posée. Son montant varie de 0,10 € et 1 € par kilo. Le montant global de cette redevance versée par les abattoirs aux organismes de certification (halal et casher confondus) approcherait des 50 millions d’euros par an. Cette taxe fait problème pour les collectivités locales et les associations laïques. Elles ont en conséquence élaboré une organisation de la restauration collective ouverte à tous grâce à la diversité des menus. La volonté d’inclusion est fermement affirmée. Et cette organisation respecte le principe laïque de non subventionnement des cultes, par obligation légale pour les premières, par choix politique voire philosophique pour les secondes. Elles ne recourent pas aux filières halal et casher pour ne pas financer des confessions religieuses. La mise en œuvre concrète de ces dispositions fait l’objet d’une brochure publiée en juillet 2016 par la Ligue de l’enseignement « Laïcité et restauration collective des enfants et des jeunes ». Les mêmes dispositions se retrouvent dans le vade-mecum publié par l’Association des maires de France (AMF) en novembre 2015.
L’abattage rituel
La sensibilité à l’égard de la souffrance animale est aujourd’hui importante. Une commission d’enquête parlementaire sur le fonctionnement des abattoirs a été constituée en mars 2016. La question spécifique de l’abattage rituel est soulevée depuis des années par toutes les associations de défense des animaux, en particulier l’œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA). Celle-ci est la seule à disposer d’un pouvoir d’inspection dans ces lieux. Quelle est la réglementation applicable ? En Suède, au Danemark, en Norvège, en Suisse, au Lettonie, en Islande… l’étourdissement est une obligation générale. La réglementation européenne (à caractère non obligatoire pour les pays membres) reprend cette obligation, tout en accordant une dérogation pour l’abattage rituel. Les mêmes dispositions (obligation d’étourdissement avec dérogation) existent en France, inscrites dans l’article R 214-70 et les suivants du Code rural.
Un problème est constamment évoqué par les associations. La dérogation accordée est devenue disproportionnée : la production de viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement excède largement la consommation des seuls musulmans et juifs. Cet état de fait est reconnu par plusieurs rapports. Suivi d’une enquête du Ministère de l’Agriculture effectuée en 2007 et d’un audit confidentiel du même Ministère de l’Agriculture en 2011, rendu public par « Le Point ». Jusqu’à 50 % des animaux seraient abattus sans étourdissement. La dérogation tend à devenir la règle, les raisons économiques tentant de se justifier par les raisons religieuses. Un décret du 28 décembre 2011 impose pourtant la vérification de l'usage de la dérogation pour abattage rituel.
Cette généralisation de l’abattage sans étourdissement s’accompagne d’un refus d’information. En 2011 huit organisations de protection des animaux se sont réunies pour lancer une campagne d’information et exiger un étiquetage (1). A l’image des actions du Collectif Ethique sur étiquette en faveur du respect des droits humains, ces associations veulent une information des consommateurs. Ceux-ci sont des citoyens qui ont le droit de choisir la viande qu’ils consomment en connaissance de cause. A ce jour les étiquettes des viandes bovines et ovines peuvent comporter le nom du morceau, le poids, le prix au kilo, le prix net, la date d’emballage, la date limite de consommation, le numéro de lot, le lieu d’abattage, le numéro d’agrément de l’établissement de découpe, le lieu de naissance, le lieu d’élevage. Mais toujours pas le mode d’abattage. Une simple mention est demandée « Viande provenant d’animaux abattus avec étourdissement ». Ce droit à la transparence fait partie de la liberté de conscience des personnes qui se donnent des devoirs à l’égard des animaux.
Pour un débat public
La transparence par l’étiquetage est une des conditions préalables d’un débat public général devenu nécessaire sur les procédures d’abattage. Ce débat met en balance la protection des animaux et la liberté religieuse. Il doit avoir lieu au Parlement. Une proposition de loi présentée le 20 juillet 2016 à l’Assemblée Nationale par deux députés vétérinaires, Jacques Lamblin et Geneviève Gaillard, demande l’obligation d’étourdissement pour tout animal abattu, comme dans les pays scandinaves et en Suisse. Ce débat doit également se dérouler dans la société civile.
Parmi les participants à ce débat se trouvent les élus, les associations religieuses et les associations laïques, les chercheurs en sciences humaines comme en biologie, les industriels, les associations de protection des animaux, d’élus, de vétérinaires, le Ministère de l’Agriculture… Liste non limitative. L’enjeu n’est pas mince. Les conflits locaux, les controverses mal gérées, les arrière-pensées… foisonnent sur ce sujet. Il fait partie des fameux sujets qui fâchent, et qui, donc, doivent trouver des solutions concrètes grâce à des échanges rationnels. La paix sociale se construit chaque jour. On dit souvent qu’en France tout fini par des chansons. C’est vrai aussi pour les banquets. Et au banquet de la République, tout le monde est le bienvenu.
Charles Conte