« Atlas historique de la Terre »
- Le 22/09/2024
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« Atlas historique de la Terre »,
de Christian Grataloup :
regarder se faire et se défaire les formes du monde
Instantané du rayonnement fossile (Cosmic microwave background) capté par le satellite Planck : la plus ancienne lumière de l’univers. Avec superposition du satellite. © ESA
« Atlas historique de la Terre », de Christian Grataloup, avec Charlotte Becquart-Rousset, Léna Hespel, Héloïse Kolebka et Légendes Cartographie, Les Arènes/L’Histoire/Sciences et avenir, 342 p., 29,90 € (en librairie le 6 octobre).
Il faut lire ce livre à toute vitesse
. Au début, en tout cas. On s’arrêtera plus tard, soigneusement, sur certaines cartes, certaines infographies, sur les données en cascade, parfois touffues, qu’il recueille. Mais, monument labyrinthique aux multiples entrées, l’Atlas historique de la Terre, la nouvelle réussite de l’équipe réunie autour du géo-historien Christian Grataloup, après l’Atlas historique mondial et l’Atlas historique de la France (Les Arènes/L’Histoire, 2019 et 2020), frappe d’abord par son rythme, son art d’embarquer le lecteur dans un flux continu de connaissances renouvelées.
C’est une somme, qu’on pourra garder près de soi quelques années pour retrouver, ou découvrir encore, une information. Mais c’est aussi une expérience, une machine à ressentir et à comprendre, qui se révèle, par sa profusion, parfaitement ajustée à son objet : les constantes métamorphoses de la Terre et de la vie, les formes infinies d’un jaillissement que les auteurs tentent d’attraper au vol. Et qu’ils dirigent sur nous, notre capacité à en comprendre quelque chose, notre responsabilité envers lui.
Apparition progressive de l’Univers
Porté par un mouvement de balancier, il se précipite des profondeurs du temps vers le plus extrême contemporain, puis revient, repart, construit son propos dans ces allers-retours dont l’ampleur est le premier enseignement. Ainsi commence-t-il loin, le plus loin possible, avec un « instantané de la plus ancienne lumière du cosmos », tel qu’il pouvait être 380 000 ans après le Big Bang, il y a plus de 13 milliards d’années, quand, précisément, il n’avait d’autre substance que la lumière. Les savants nomment « fond diffus cosmologique » ce rayonnement saisi par l’observatoire spatial européen Planck, dont les variations de température annoncent la naissance des étoiles et des galaxies, des centaines de millions d’années plus tard.
Une autre figure, dans la double page suivante, scande cette apparition progressive de l’Univers que nous connaissons, par bonds représentant quelques milliards d’années à chaque fois, de la formation d’étoiles (relativement) éphémères à la multiplication infinie de galaxies. Ailleurs : naissance de la Terre, il y a 4,5 milliards d’années ; apparition de la vie, un milliard d’années plus tard ; premiers représentants de la lignée humaine, après bifurcation parmi les grands singes, il y a 7 millions d’années.
Au bout de la chaîne, les faits les plus menus en regard de cette gigantomachie trouvent aussi leur place. Où et quand a-t-on pour la première fois domestiqué des chiens, et lesquels ? Où et quand a-t- on commencé à cultiver le maïs, la courge, le tabac, la figue, l’orge, la pomme ? Par quelles routes
circulaient les produits et les gens au XVe siècle ? Dans quelles régions du monde la production de - ciment émet-elle le plus de CO2 en 1960 et en 2020 ? La vie, du rayonnement originaire aux doigts
qui s’agitent sur un clavier pour écrire un article, court toujours vers le multiple, et d’embranchements en embranchements se matérialise dans tous les recoins, imaginables ou pas, qu’il faut s’efforcer de modéliser autant que le chemin qui y a conduit.
Il y a de l’archéologie dans cette entreprise
Et si le plan d’Atlas historique de la Terre, en neuf parties, du Big Bang à la saturation de la Terre sous l’anthropocène, en passant, dans l’ordre, par son apparition, puis celle de la vie, puis celle de l’homme, et encore par les domestications, l’agriculture, les mondialisations et l’ère des énergies fossiles, se déroule sur un axe à première vue chronologique, cette apparence ne doit pas tromper : la ligne droite ne peut être ici qu’une illusion d’optique. « L’ordre des parties, explique Christian Grataloup en introduction, n’est une succession que par leurs débuts : l’agriculture a bien démarré très longtemps après la genèse de la tectonique des plaques ; il n’empêche que nos récoltes poussent sur des plaques qui poursuivent leur mouvement. »
Il y a de l’archéologie dans cette entreprise : le passé est quelque chose qui s’exhume ; autrement dit, il est sous nos pieds, ou dans l’air, ou en nous. Il est cette réalité qui, raccordée au présent, lui donne, encore une fois, son rythme, l’inscrit dans une chaîne de transformations qui le dépasse – apparition continuée, effet de l’expansion même de l’Univers, qui emporte tout.
Au demeurant, Grataloup ajoute : « Mais les fins des parties, nécessairement provisoires, sont toutes projetées vers l’avenir. » Raconter la formation de la Terre vous entraîne bientôt vers une étude des climats et de ses cycles ; cartographier l’émergence et la diffusion de l’agriculture au
néolithique, 10 000 ans avant notre ère, vers la question de l’épuisement des ressources. Des constantes se font jour, comme dans cette carte de la circulation des épidémies, où la « peste »
d’Athènes, au Ve siècle av. J.-C., se juxtapose avec le Covid-19. Mais c’est l’accélération des menaces qui domine au bout du compte. Comment ne pas voir l’été 2022 inscrit en germe dans la
carte de l’extraction et de la circulation du charbon au début du XXe siècle ?
L’Atlas historique de la Terre n’est rien d’autre que ce qu’il est : un extraordinaire concentré de savoirs sur la vie et ses conditions, recueillis, organisés et transmis à travers des techniques gra- phiques qui prouvent, presque à chaque page, leur fécondité. Il ne cherche pas à imposer une vision. Il ne lance pas d’alerte. Difficile pourtant d’en ressortir sans une conscience de la crise climatique accrue, aiguisée par l’évidence du miracle précaire qui nous constitue et nous fait vivre. A toute vitesse ou très lentement, en regardant se faire et se défaire les formes du monde ou en examinant chacune d’elles sous la loupe des savants, il faut s’y plonger, en ressortir. Et regarder autour de soi. Certains livres nous aident à accomplir cette tâche qui n’ira jamais de soi : vivre là où nous sommes.
Christian Grataloup que nous avons vu en conférence le 13 mai 2024 :
"Raconter le monde avec des cartes"
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