Peut-on faire l’économie d’un ralentissement des mobilités ?
- Le 23/09/2024
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Conférence d'Aurélien Bigo du 12septembre 2024
En 2017, la France décidait de viser la neutralité carbone en 2050 afin de s’aligner avec un scénario permettant de contenir le réchauffement climatique sous la barre des +2°C. Cette neutralité, plus ambitieuse que l’objectif précédent, doit être atteinte avec la réalisation de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui prévoit de diviser par 5,7 les émissions de CO2 entre 2015 et 2050 – soit un passage de 458 à 80 millions de tonnes par an 1. Dans ce contexte, le secteur des transports doit viser la décarbonation quasi complète, et notamment pour les transports terrestres qui doivent sortir totalement du pétrole, alors que ce dernier représente plus de 90 % des consommations du secteur actuellement. Une telle transformation en 30 ans est un défi énorme.
Pour parvenir à cet objectif, la SNBC a envisagé cinq leviers 2 :
La modération de la demande de transport , qui correspond...
... au nombre de kilomètres parcourus par les Français ;
Le report modal , soit la baisse de la part des kilomètres parcourus par les modes routiers individuels (voiture, deux-roues motorisés, une partie des véhicules utilitaires légers) et en avion (pour les trajets intérieurs à la France), au profit de la part des kilomètres parcourus en transports en commun routiers (bus et cars), en train et par les modes actifs (marche et vélo) ;
L’augmentation du taux de remplissage des véhicules , défini comme le nombre de personnes par véhicule ;
L’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules , c’est-à-dire la baisse de la consommation d’énergie pour chaque kilomètre parcouru (par exemple en améliorant les moteurs ou en réduisant la taille des véhicules) ;
La baisse de l’intensité carbone de l’énergie , c’est-à-dire des émissions de CO2 par unité d’énergie utilisée, cette intensité étant élevée pour le pétrole et plus faible pour l’électricité ou les énergies renouvelables.
Quels sont les leviers privilégiés par la SNBC pour répondre aux objectifs de décarbonation et quelle est la probabilité de voir se réaliser le scénario qu’elle envisage ?
Trois approches permettent de donner des éléments de réponse à ces questions : tout d’abord, quelle a été l’évolution des émissions de CO2 depuis les années 1960 et quel a été le rôle des politiques publiques dans cette évolution ? Ensuite, comment se situe le scénario de la SNBC parmi les autres scénarios prospectifs de décarbonation ? Enfin, quel est l’impact de l’évolution de la vitesse moyenne de déplacement et quelle place pourrait-elle prendre dans un objectif global de neutralité carbone ?
L’évolution des émissions des transports depuis 1960
Depuis 1960, la demande est le principal facteur d’évolution
Par le passé, les émissions de CO2 ont été multipliées par 4,2 entre 1960 et 2017, avec un pic au début des années 2000, suivi d’une légère diminution 3. La demande de transport a été le principal facteur d’évolution des émissions : les courbes d’évolution du CO2 et de la demande sont restées proches sur l’ensemble de la période, avec un nombre de kilomètres parcourus multiplié par 4,7 depuis 1960. La croissance de ce dernier a ralenti dans les années 2000, au moment où les émissions de CO2 ont légèrement baissé.
Décomposition de l'évolution des émissions de CO2 du transport de voyageurs de 1960 à 2017
Ce très faible découplage entre la demande et les émissions sur la période révèle un impact faible des quatre autres leviers, qui s’explique par le fait qu’ils se sont principalement compensés entre eux : si des progrès d’efficacité énergétique ont été réalisés sur la période (-37 % d’impact sur les émissions de CO2), complétés par une faible amélioration de l’intensité carbone de l’énergie (-10 % d’émissions par unité d’énergie consommée), ils ont été largement compensés par un report modal qui s’est fait majoritairement vers les modes routiers sur le début de la période (+22 % d’impact sur les émissions de CO2) et par la baisse du taux de remplissage des voitures (+28 % d’impact sur les émissions de CO2).
Des politiques publiques à faible impact environnemental
Si les émissions annuelles du transport de voyageurs ont marqué le pas à partir des années 2000, il faut s’interroger sur l’impact environnemental des politiques publiques sur ce résultat. Ces politiques se sont principalement focalisées sur le report modal vers les transports en commun, l’efficacité énergétique des véhicules et le développement des biocarburants.
Le report modal, après un épisode marqué de généralisation de la voiture individuelle, se fait depuis 1995 vers les transports en commun ferroviaires, et son impact sur les émissions peut être estimé à -2,7 MtCO2 par an. Une baisse relativement faible car équivalente à 3 % des émissions du secteur des transports de voyageurs.
Côté efficacité énergétique, aucune rupture de tendance durable liée aux politiques publiques n’est observée sur la période 4.
Quant à la baisse des émissions due au développement des agrocarburants (donc de l’intensité en carbone de l’énergie), elle est estimée à 5,2 MtCO2 dans la décomposition. Ce chiffre est néanmoins contestable : la convention de neutralité climatique de la biomasse énergie considère que le CO2 émis par les agrocarburants durant leur combustion a été capté par la plante durant sa croissance. Elle fait implicitement l’hypothèse (fausse) qu’aucun CO2 n’aurait été capté sur la surface utilisée s’il n’y avait pas eu de culture d’agrocarburants. En réalité, quand on prend en compte l’analyse de cycle de vie 5 et les possibles changements d’affectation des sols (dont une possible déforestation) liés à la production des agrocarburants consommés en France, leur impact climatique apparaît comme similaire au pétrole. Il serait donc plus juste de compter les émissions liées à leur combustion 6.
En conséquence, cela réduirait à seulement 7 % le découplage observé entre la demande et les émissions de CO2 observé entre 1960 et 2017 (contre 12 % sans compter les émissions des biocarburants). Cela réduirait également l’effet mesurable des politiques publiques environnementales sur la baisse des émissions aux seuls 3 % du report modal.
Enfin, la première explication du pic d’émissions de CO2 est la stabilisation de la demande totale entre 2002 et 2009, soit une baisse du nombre de kilomètres parcourus par personne, compensée par la croissance de la population. Cette évolution, parfois étudiée sous le nom de peak travel, sera étudiée plus bas, mais n’est pas le résultat des politiques publiques environnementales, qui n’ont pas cherché à réduire le nombre de kilomètres parcourus jusqu’à aujourd’hui. Au contraire, ces politiques ont pu encourager son augmentation par des mesures ayant des effets indirects sur la demande (par exemple avec l’augmentation de l’offre de transports en commun ou l’amélioration de l’efficacité énergétique des moteurs, encourageant ainsi à faire plus de kilomètres), par le financement d’infrastructures de transport y compris pour les modes polluants (création d’autoroutes, subventions aux petits aéroports), ou encore par un aménagement du territoire favorisant l’allongement des distances (étalement urbain, centres commerciaux en périphérie des villes).
Le défi de la décarbonation des mobilités
Les mêmes leviers peuvent être utilisés pour comparer la SNBC à d’autres scénarios prospectifs de décarbonation des mobilités, afin d’une part d’évaluer le potentiel de chaque levier, et d’autre part de comprendre les grands enseignements qui se dégagent de ces projections.
La Stratégie nationale bas-carbone, focalisée sur les leviers technologiques
Décomposition des émissions de CO2 des transports de passagers pour le scénario SNBC entre 2015 et 2050
Le scénario de la stratégie française prévoit entre 2015 et 2050 7 :
- une augmentation de la demande de transport de 26 %, via une hausse de la population et des kilomètres par personne (13 %) ;
- un report modal vers le train et le vélo, faisant baisser les émissions de 8 % ;
- un essor du covoiturage, qui permettrait de faire baisser les émissions de 11 % en améliorant le remplissage des voitures ;
- une forte amélioration de l’efficacité énergétique, les consommations par kilomètre diminuant de 68 %, grâce aux progrès sur les moteurs thermiques dans un premier temps, puis au développement de la voiture électrique 8 ;
- enfin, une forte décarbonation de l’énergie utilisée, de 97 %, qui permet de ramener le facteur d’intensité carbone à un taux proche de 0 en 2050, essentiellement par le passage à l’électricité.
Les principales baisses d’émissions du scénario proviennent donc très majoritairement de facteurs technologiques, en particulier de l’efficacité énergétique des véhicules dès les premières années, et du développement progressif du véhicule électrique. À ce titre, la stagnation des émissions de CO2 des véhicules neufs entre 2015 et 2019, qui rend compte de l’évolution des progrès à la fois d’efficacité énergétique et d’intensité carbone, est inquiétante et risque de remettre en cause les objectifs climatiques de court terme. Les progrès attendus sur le plan de l’efficacité énergétique paraissent d’autant plus compliqués à réaliser que la SNBC ne prévoit pas de mesure pour faire fortement baisser le poids des véhicules ou pour limiter la vitesse sur les routes les plus rapides, deux leviers majeurs dans ce domaine. Ces mesures seraient pourtant favorables non seulement à la baisse de la consommation des véhicules thermiques, mais aussi à la limitation de la taille des batteries des voitures électriques, et donc à la modération de l’impact environnemental de leur fabrication.
Où se situe la SNBC au sein des différents scénarios prospectifs ?
Les évolutions prévues dans la SNBC peuvent être comparées avec les potentiels identifiés par les autres scénarios de prospective existants en France, qui offrent des visions contrastées de la transition énergétique des transports. La contribution des cinq leviers a donc été évaluée pour 13 scénarios français produits par différents types d’acteurs : 4 scénarios tendanciels projetant une évolution dans la continuité des trajectoires actuelles, sans politiques publiques additionnelles, et 9 scénarios volontaristes visant une forte baisse des émissions de CO2 par l’activation des différents leviers 9. Sans donner les résultats pour chaque scénario 10, la figure ci-dessous compare pour les cinq leviers : l’évolution prévue dans la SNBC (points bleus) ; l’évolution moyenne pour les quatre scénarios tendanciels (limite supérieure des rectangles, en rouge) ; l’évolution moyenne des quatre scénarios volontaristes les plus ambitieux sur chaque levier (limite inférieure des rectangles, en vert) ; enfin, pour chaque levier également, les valeurs extrêmes données par les scénarios les plus et les moins ambitieux (Min et Max).
Comparaison des potentiels de réduction des émissions des 5 leviers d’ici 2050 dans les scénarios tendanciels, les scénarios volontaristes et la SNBC
Le premier constat est une ambition modérée voire très faible de la SNBC sur les trois premiers facteurs de la décomposition, qui sont des leviers essentiellement d’aménagements du territoire (comme la localisation des logements et des activités), d’organisation des mobilités (comme la mise en place de plateformes de covoiturage) et d’incitations aux changements de comportements (comme la construction d’infrastructures cyclables). La SNBC prévoit une hausse de la demande plus forte encore que les scénarios tendanciels, qui prévoient déjà en moyenne une hausse de l’ordre de 20 %, alors que les scénarios les plus ambitieux sur ce point projettent en moyenne une baisse de quasiment 10 % 11. De manière moins flagrante, la SNBC se montre relativement peu ambitieuse sur le report modal et le covoiturage, dont le potentiel identifié par les autres scénarios est de l’ordre d’une réduction des émissions de 20 %.
Ainsi, le rôle limité conféré à ces leviers tout en visant un objectif global de neutralité carbone force la stratégie à être encore plus ambitieuse que les autres scénarios volontaristes sur les leviers d’efficacité énergétique et d’intensité carbone de l’énergie.
Concrètement, la SNBC mise donc presque exclusivement sur la technologie, qui permettra selon elle de respecter ses objectifs climatiques, aussi bien à court qu'à long terme.
Quelles évolutions prévisibles d’ici 2030 ?
L’analyse des tendances récentes montre le besoin d’une forte accélération des baisses d’émissions de CO2 par kilomètre parcouru si l’on veut voir se réaliser le scénario de la SNBC : si depuis 1993 les baisses des émissions par kilomètre parcouru sont relativement constantes et de l’ordre de -0,5 % par an (soit -0,5 gCO2/km, tous modes confondus, en intégrant ici les émissions des agrocarburants), la SNBC prévoit de réaliser des progrès cinq fois plus importants entre 2015 et 2030 (de -2,7 %/an). Au lieu de cette accélération, la tendance est à la stagnation des émissions des véhicules neufs sur les quatre premières années de la période, soit une évolution bien moins favorable que ce que les scénarios tendanciels envisagent eux-mêmes. De plus, aucune évolution sur le covoiturage ou le report modal pouvant avoir un impact significatif sur les émissions n’a été observée.
Les tendances récentes indiquent que c’est la demande qui a le plus influencé l’évolution des émissions à court terme, en étant très réactive en particulier aux variations de prix des carburants. Et pourtant, la question de la demande brille par son absence dans les débats et les mesures de la loi d’orientation des mobilités (LOM) votée en 2019. La modération de la demande sera pourtant une condition majeure pour pouvoir espérer de forts reports modaux : par exemple, les reports vers le vélo pour les courtes distances et vers les trains de nuit pour les longues distances représenteront ainsi une part d’autant plus importante du nombre total de kilomètres parcourus si ce total diminue. La décarbonation de l’énergie dépendra également de la modération de la demande, car les technologies développées sont tributaires de ressources disponibles en quantités limitées, et dont les impacts environnementaux sont parfois importants 12. Enfin, le transport aérien international (non pris en compte dans la précédente comparaison car il n’est pas étudié par tous les scénarios) ne dispose pas vraiment d’alternative de report modal, ni de technologie disponible à suffisamment court terme pour s’aligner sur une trajectoire compatible avec l’accord de Paris. Là aussi, seule une modération de la demande pourra permettre de faire baisser les émissions de CO2 de ce secteur.
La vitesse au cœur de l’évolution des mobilités
Temps de transport et vitesse des déplacements
Afin de mieux appréhender les marges de manœuvre dont disposent les politiques publiques pour agir sur la demande de mobilité, il convient de mieux comprendre les principaux déterminants de son évolution dans le temps.
Sur deux siècles, quelles ont été les mutations et les continuités de la mobilité ? Alors que la marche dominait largement les déplacements il y a 200 ans, les Français faisaient de l’ordre de 4 à 5 kilomètres par jour, soit 10 fois moins qu’actuellement. Puisque le nombre de déplacements par jour et par personne est resté stable (entre 3 et 4), cela indique que c’est la distance moyenne des déplacements qui a été multipliée par 10. Parallèlement, les temps de transport sont restés relativement stables au cours du temps et dans diverses régions du monde, de l’ordre d’une heure de transport par jour, une constante connue sous le nom de « conjecture de Zahavi » 13.
Il faut donc en déduire que la multiplication des distances par 10 a été permise par une augmentation de la vitesse des déplacements à peu près équivalente. Pour une personne qui se déplace une heure par jour, le nombre de kilomètres parcourus est donc dix fois plus élevé qu’il y a 200 ans, ce qui a des conséquences fortes sur ses choix de lieux de vie, d’activités, de vacances, etc. La vitesse des modes à disposition des personnes est une condition majeure d’augmentation du nombre de kilomètres parcourus.
La diffusion des modes rapides, jusqu’à la saturation ?
L’étude de la vitesse moyenne des déplacements sur la période 1960-2017 permet d’identifier les différents facteurs de son évolution au cours du temps.
Évolution et déterminants de la vitesse moyenne des déplacements au cours du temps par période de 5 ans (sauf 2015-2017)
L’effet de diffusion des modes rapides a eu un impact majeur, en particulier sur les décennies 1960 et 1970. Sur ces deux décennies, la hausse de la vitesse moyenne d’environ 1 km/h chaque année s’est faite essentiellement par un report modal de la marche vers la voiture (en bleu sur le graphique ci-dessus) 14. Alors que la voiture représente 62 % des temps de transport depuis le début des années 1990, le développement des autoroutes (en vert sur le graphique) a participé à la hausse de sa vitesse moyenne. La hausse de la vitesse moyenne des déplacements a cependant été stoppée au début des années 2000 par la mise en place des radars, qui a fait chuter les vitesses pratiquées de 7 km/h sur les routes limitées à 90 km/h ou plus entre 2002 et 2005 15 (en jaune). Ce changement a suffi à faire baisser la vitesse moyenne de l’ensemble des déplacements de quasiment 4 %, et cette baisse est concomitante à la baisse du nombre de kilomètres parcourus évoquée plus haut. En plus des explications généralement avancées dans la littérature sur l’impact du prix du pétrole ou de la saturation du taux de motorisation des ménages 16, une explication complémentaire au pic de la demande individuelle des années 2000 découlerait donc du pic des vitesses de déplacements. Celui-ci a encouragé les usagers à réduire le nombre de kilomètres parcourus afin de préserver leurs temps de transport.
Même si la vitesse a légèrement augmenté sur la décennie 2010 en même temps que les kilomètres parcourus (voir figure en bas d’article), la tendance à la stagnation de la vitesse moyenne au tournant du millénaire pourrait remettre en cause certaines hypothèses des scénarios de prospectives, en particulier celui de la Stratégie nationale bas-carbone : si la vitesse de chaque mode à courte et longue distance reste stable, le report vers les modes actifs (plus lents) prévu dans le scénario se traduirait par une légère baisse de la vitesse moyenne des déplacements ; l’augmentation de 13 % des kilomètres parcourus par personne prévue sur la période ne pourrait alors être possible que par une augmentation du temps de transport individuel d’environ 10 minutes par personne et par jour. Bien que les temps de transport aient probablement augmenté ces dernières décennies, une hausse si forte en trois décennies paraît peu réaliste. Même si elle advenait, un tel scénario ne semble pas souhaitable 17.
La transition énergétique des mobilités, synonyme de ralentissement ?
Si prévoir l’avenir n’est pas chose aisée, il peut au moins être signalé que les marges pour de fortes hausses de la vitesse moyenne sont relativement limitées 18. En outre, de nombreuses mesures de transition énergétique pourraient même encourager une baisse des vitesses moyennes, et en retour une baisse des distances de déplacements par personne.
Concernant l’effet de report modal, le renouveau de la marche et surtout du vélo observé en ville pourrait se développer sur l’ensemble du territoire dans les années à venir, ce qui contribuerait au ralentissement. Le développement des infrastructures cyclables 19 et des zones piétonnes 20 semblent aller dans ce sens. Si la croissance prévue de l’aérien contribue à l’augmentation du nombre de km parcourus (en particulier pour l’international, non pris en compte dans l’analyse), son fort impact climatique nécessiterait de freiner son développement à l’avenir.
Concernant les infrastructures de transports rapides, un des moteurs de l’augmentation de la vitesse et des déplacements, la tendance est à la limitation du nombre de nouveaux projets pour des raisons budgétaires notamment. La cohérence avec les objectifs climatiques impliquerait la continuité de cette politique. Sur les routes, dans un contexte de retard important sur l’amélioration de l’efficacité énergétique, une des mesures les plus efficaces à court terme serait de baisser la vitesse sur les autoroutes : la baisse de consommation par kilomètre est de l’ordre de 17 % pour les véhicules thermiques et de 24 % pour les véhicules électriques avec un passage de 130 à 110 km/h. Une telle mesure toucherait davantage les ménages plus favorisés pour des trajets non contraints, ce qui la rendrait potentiellement plus acceptable socialement que le passage aux 80 km/h. Par ailleurs, cette baisse fournirait une incitation à privilégier le train pour les trajets longue distance. Enfin, en ville, les zones à 30 km/h se développent depuis plusieurs années, ralentissant le trafic motorisé au profit des modes alternatifs.
La sobriété, le défi collectif des mobilités de demain ?
Ce qui ressort en creux de l’analyse de la Stratégie nationale bas-carbone et des politiques publiques actuelles est la difficulté à penser et organiser la sobriété (par la diminution de la demande, l’allègement des véhicules, le développement des modes actifs, la réduction des vitesses, etc.) dans les politiques de mobilité et de transition écologique. Cette tendance se retrouve aussi bien dans les politiques de l’État que chez bon nombre de collectivités, d’entreprises ou de citoyens. Pourtant, la critique de la course à la croissance et la prise de conscience des besoins de sobriété ou des nécessaires changements de modes de vie sont de plus en plus présentes dans la société et documentées par de nombreux sondages : par exemple, en 2015, 83 % des Français répondaient qu’il faudrait changer de modes de vie de façon majeure pour faire face au changement climatique, et seuls 16 % d’entre eux pensaient que la technologie pouvait résoudre le problème 21. Si des évolutions technologiques sont indispensables, elles sont en effet insuffisantes à elles seules et doivent être orientées vers une sobriété énergétique et matérielle pour éviter de créer de nouveaux problèmes environnementaux.
Historiquement, l’accélération de nos mobilités a rimé avec augmentation de la demande et hausse des émissions. Pour atteindre la neutralité carbone dans seulement 30 ans, peut-être serait-il raisonnable, voire urgent, de… ralentir ?
Les aspirations au ralentissement ou à vivre davantage en proximité sont déjà importantes 22. Elles doivent maintenant être accompagnées pour se concrétiser. Le défi collectif serait donc désormais d’imaginer et de mettre en œuvre une transition à la fois juste, cohérente et enthousiasmante, pour aller vers des mobilités et des modes de vie plus sobres et plus résilients aux changements à venir.
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