Cercle Condorcet de la Savoie
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  • "Les Français ne sont pas un troupeau de moutons ou une garderie d’enfants"

    François Sureau, écrivain et avocat, est l'invité du grand entretien de Nicolas Demorand et Léa Salamé à 8h20. Il évoque le confinement actuel, et ses inquiétudes sur ses conséquences à plus long terme sur notre démocratie et nos libertés.

    France Inter - 7 à 9 - mercredi 1er avril 2020

    "[Le confinement] est d’abord une épreuve intime, personnelle", explique François Sureau. "Ces derniers jours, un de mes plus vieux amis a vu sa femme mourir à l’hôpital et avec sa fille n’a pas été autorisé à assister à la levée du corps. Comme des millions de Français, ils sont dans le même état que moi, je me fais du souci pour mon père en EHPAD avec un personnel qui s’occupe de lui, incroyablement dévoué, qui veille aux portes dans une atmosphère de forteresse : si le coronavirus rentre, ils mourront par dizaines."

    Il souhaite aussi rappeler le rôle de ceux qu'on ne voit pas : "Notre vie est envahie par des personnalités publiques, dont tout le monde connait le nom, qui en quelque sorte entrent chez nous en permanence pour nous rassurer, nous protéger, nous dire des choses utiles ou beaucoup plus contestables. Et derrière tout ça il y a une foule d’anonymes qui font leur travail extraordinaire."

    "La vie l'emportera"...

     

     

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  • Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise

    Bruno Latour - Philosophe et sociologue, Professeur émérite au médialab de Sciences Po - Publié par AOC

     

    Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.

    Il y a peut-être quelque chose d’inconvenant à se projeter dans l’après-crise alors que le personnel de santé est, comme on dit, « sur le front », que des millions de gens perdent leur emploi et que beaucoup de familles endeuillées ne peuvent même pas enterrer leurs morts. Et pourtant, c’est bien maintenant qu’il faut se battre pour que la reprise économique, une fois la crise passée, ne ramène pas le même ancien régime climatique contre lequel nous essayions jusqu’ici, assez vainement, de lutter.

    En effet, la crise sanitaire est enchâssée dans ce qui n’est pas une crise – toujours passagère – mais une mutation écologique durable et irréversible. Si nous avons de bonne chance de « sortir » de la première, nous n’en avons aucune de « sortir » de la seconde. Les deux situations ne sont pas à la même échelle, mais il est très éclairant de les articuler l’une sur l’autre. En tout cas, ce serait dommage de ne pas se servir de la crise sanitaire pour découvrir d’autres moyens d’entrer dans la mutation écologique autrement qu’à l’aveugle.

    La première leçon du coronavirus ...

     

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  • Exhortation aux médecins de la peste Albert Camus

    Publié avec un autre texte en avril 1947 dans les Cahiers de La Pléiade, sous le titre « Les Archives de La Peste », Exhortation aux médecins de la peste a probablement été écrit par Albert Camus en 1941, soit six ans avant la parution de La Peste dont il constitue l’un des travaux préliminaires.

    Alors que le grand roman d’Albert Camus est lu et relu aujourd’hui dans le monde entier, en toutes langues, la collection « Tracts », avec l’aimable autorisation de la Succession Albert-Camus, vous propose de découvrir ce texte méconnu, mais d’une brûlante actualité, dans lequel l’écrivain adresse ses recommandations aux médecins dans leur combat quotidien contre l’épidémie.

    Les bons auteurs ignorent si la peste est contagieuse. Mais ils en ont le soupçon. C’est pourquoi, messieurs, ils sont d’avis que vous fassiez ouvrir les fenêtres de la chambre où vous visitez le malade. Il faut se souvenir simplement que la peste peut être aussi bien dans les rues et vous infecter de la même façon, que les fenêtres soient ouvertes ou non.

    Les mêmes auteurs vous conseillent aussi de porter un masque à lunettes et de placer, au-dessous de votre nez, un linge imbibé de vinaigre. Portez également sur vous un sachet composé des essences recommandées dans les livres, mélisse, marjolaine, menthe, sauge, romarin, fleur d’oranger, basilic, thym, serpolet, lavande, feuille de lauriers, écorce de limon, et pelure de coings. Il serait souhaitable que vous fussiez entièrement vêtus de toile cirée. Cependant, cela peut s’accommoder. Mais il n’y a point d’accommodements avec les conditions sur lesquelles bons et mauvais auteurs sont d’accord. La première est que vous ne devez tâter le pouls du malade qu’après avoir trempé les doigts dans du vinaigre. Vous en devinez la raison. Mais le mieux serait peut- être de vous abstenir sur ce point. Car si le malade a la peste, cette cérémonie ne la lui enlève point. Et, s’il en est indemne, il ne vous aura pas fait appeler. En temps d’épidémie, on soigne son foie tout seul, pour se garder de toute méprise.

     

     

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  • “Les politiques ont la tentation de faire de la crise un champ d’expérimentation autoritaire"

    Avant de spéculer sur le monde d’après et la sagesse qui sera la nôtre après cette crise majeure... regardons avec quelle aisance et quelle satisfaction les leaders des démocraties se voient eux-mêmes en chefs de guerre et manifestent leur goût du contrôle des populations, prévient le philosophe Michaël Fœssel.

    Michaël Fœssel - Avril 2020 - Philosophie Magazine

    Philosophe et professeur à l’École polytechnique, il est l’auteur de plusieurs livres dont les titres résonnent profondément avec l’actualité, comme La Privation de l’intime (Seuil, 2008), Après la fin du monde. Critique de la raison apocalyptique (Seuil, 2013) ou encore Le Temps de la consolation (Seuil, 2015). Son dernier essai Récidive. 1938 (PUF, 2019) propose une plongée dans les articles des journaux de l’année 1938 et s’interroge sur la cécité devant la montée des périls.

    Philosophie Magazine - Vous avez écrit un essai intitulé Après la fin du monde. Critique de la raison apocalyptique. Sommes-nous aujourd’hui devant un monde suspendu, un monde abîmé, un monde qui se métamorphose ?

    Michaël Fœssel : Aujourd’hui comme à l’époque où j’écrivais cet essai, il me semble que la notion de monde n’est pas liée à la question de la vie. Je considère que le monde, c’est d’abord et avant tout un horizon social et perceptif, une certaine manière d’organiser le temps, de le scander. J’appelle monde l’ordre ordinaire collectif de nos vies, l’horizon de nouveauté qui l’entoure et non leur simple conservation biologique. C’est pourquoi notre monde est – je l’espère,
    momentanément – annulé par le confinement. D’autre part, il y a monde quand on peut se projeter dans l’avenir de manière relativement assurée. Et là, on voit bien que, même au niveau gouvernemental, les décideurs ne savent pas, ne peuvent pas nous dire combien de temps cette crise va durer. Chacun est obligé de refaire monde au niveau de son domicile – je parle bien sûr de ceux qui sont confinés –, et ce n’est pas facile, peut-être même est-ce impossible, en ce sens où le monde suppose un rapport à l’altérité. Tout le paradoxe actuel, c’est qu’on nous demande d’être solidaires depuis nos solitudes.

    Pensez-vous que nous allons revenir au monde d’avant, ou qu’il y aura une reconfiguration ?

    Comme lors de chaque crise majeure, certains s’empressent de déclarer que rien ne sera plus jamais comme avant, que nous sommes déjà entrés dans le monde d’après. Je me méfie de ces discours. Bien sûr, nous ne retrouverons pas la situation précédente à l’identique. Mais tout dépend des changements qui vont se produire. Si ce que l’on remet en cause, ce sont les idéologies managériales, les conceptions productivistes et anti-écologiques qui d’une certaine manière nous ont menés là, alors l’effort de transformation de nos habitudes et de nos cadres de pensée peut être bienvenu. Maintenant, si le caractère dramatique de la situation et la peur qu’elle suscite doivent signifier – comme on en perçoit déjà les signes – qu’on va prendre des mesures sécuritaires et biosécuritaires renforcées, si l’on se met à nous vanter le modèle chinois comme supérieur à celui des démocraties, si cette période de quarantaine sert à mettre en place des outils de surveillance numérique, de zonage et de contrôle des populations dont l’usage se pérennise, l’après sera peut- être même pire que le pendant. Nous voilà ramenés à une problématique philosophique assez classique : est-ce que l’exceptionnel doit devenir normatif ? Comme nous vivons une crise de nature virologique, elle ouvre de surcroît une ère du soupçon. L’autre ne représente-t-il pour moi qu’une menace ? Universalisées, de telles suspicions empêchent de faire monde. Jusqu’où va-t-on aller ? Enverra-t-on des drones surveiller les rues, comme dans les mégapoles chinoises ? Si l’on suit cette pente, nous allons vers des évolutions fortes de nos sociétés, mais pas vraiment celles auxquelles aspirent ceux que j’appellerai les « utopistes du monde d’après ».

    “Quelle que soit leur nécessité circonstancielle, les mesures adoptées par la France sont inadmissibles en regard de ce qu’est un État de droit”

     

    Ne seriez-vous pas, pour une fois, d’accord avec le président des États-Unis Donald Trump, qui s’est exclamé qu’il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal ?

     

     

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  • Apéros virtuels: trinquons (ou pas) avec les “classiques”

    À l’heure du confinement, c’est devenu un rituel pour nombre d’entre nous. En début de soirée, on se connecte pour un apéro virtuel entre amis ou en famille. Qu’en auraient pensé les penseurs classiques, au regard de leur conception de l’amitié ?

    Ils auraient été pour

    Parce que nous vivons mieux entouré d’amis Épicure (341-270 av. J.-C.)

    Sur l’écran, des visages familiers et souriants : même à distance, une communauté se (re)crée, et c’est comme une bulle salvatrice dans les tourments du présent. Épicure aussi désirait se protéger du chaos du monde : pour héberger son école, le Jardin, il avait choisi un lieu clos, séparé par de hauts murs de l’agitation d’Athènes. Dans cet espace en retrait, l’amitié est placée bien plus haut que l’amour pour parvenir au bonheur : « Parmi les choses dont la sagesse se munit pour la félicité de la vie tout entière, de beaucoup la plus importante est l’amitié » (Sentences vaticanes). Pour Épicure, celle-ci outrepasse la logique de l’intérêt individuel et repose sur un lien de confiance et de franchise totales. Surtout, « la sécurité dans l’amitié [...] est complète au plus haut degré »,

    énoncent les Maximales capitales. Nos amis sont là pour nous rassurer, nous secourir le cas échéant – Épicure vient du grec epikouros, « celui qui secourt »... Ils nous permettent d’éteindre nos craintes et d’atteindre l’ataraxie, l’absence de trouble de l’âme, qui est une condition de la vie bienheureuse. Petite précision avant de déboucher les bouteilles : tout sauf hédoniste dans le sens actuel du terme, Épicure prône un mode de vie plutôt austère, où l’eau claire sera toujours préférée au vin ; et, pour lui, deviser avec ses amis revient essentiellement à philosopher... Pourquoi pas, après tout ? On a tout le temps.

    Parce que je ne peux pas me passer de lui (ou d’elle) Michel de Montaigne (1533-1592) ...

     

     

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  • « Il faut juger la qualité démocratique des frontières »

     

    Benjamin Boudou

    Benjamin Boudou est chercheur en post-doctorat au Max Planck Institute for the Study of Religious and Ethnic Diversity.

    Il est rédacteur en chef de Raisons politiques, premier journal français de théorie politique,

    et auteur de Politique de l’hospitalité : une généalogie conceptuelle (CNRS Editions, 2017). 

     

    Un article signalé par Annie Barthélémy

     

    Dans son dernier ouvrage, Benjamin Boudou discute la question des frontières en cherchant à déterminer les seuils au-delà desquels le pouvoir qui s’y exerce n’est plus légitime. Pour faire advenir des frontières qui soient « justes », l’auteur défend une approche démocratique des frontières — avec notamment un « Parlement des migrants » — visant à réduire l’écart entre l’idéal cosmopolitique et la pratique démocratique. 

    La crise de l'Aquarius met-elle en évidence une crise de l'hospitalité européenne ?

    Benjamin Boudou : Je ne parlerais pas d’« une » hospitalité européenne, tant ce à quoi nous assistons témoigne justement d’une difficulté à proposer une politique unifiée, encore moins une politique hospitalière. Que l’on puisse s’imaginer que ces quelques centaines de personnes soient une menace pour un pays comme la France est difficile à comprendre. L’exécutif avait justement l’occasion de jouer la carte de l’hospitalité au sens traditionnel – tout en maintenant ses politiques inhospitalières au quotidien – en mettant en scène une décision généreuse, un privilège exceptionnel accordé à ces rescapés. Mais même cette symbolique-là, aussi ambiguë qu’elle puisse être, il n’en est pas capable, tant il est enfermé dans une logique absurde, craignant que le moindre signe d’ouverture donne lieu au fameux – mais inexistant – « appel d’air ».

    L’Aquarius n’est donc pas une exception, il ne provoque ni ne révèle une crise, il est une preuve supplémentaire d’une politique radicale de fermeture et d’hostilité à l’égard des migrants. L’hospitalité aujourd’hui implique selon moi...

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  • Diplomatie, Armées et Développement au Sahel

    Retrouvez ici le texte qui a servi de support à l'intervention d'André Bailleul lors de la conférence du 10 février

    DIPLOMATIE, ARMÉE ET DEVELOPPEMENT AU SAHEL

    Par André BAILLEUL *


     

    La diplomatie et la défense sont deux fonctions régaliennes de l'Etat, étroitement liées qui entretiennent des relations très complexes ; elles font partie du domaine réservé du chef de l'Etat. Le développement est une action extérieure de la France au nom de la solidarité internationale pour favoriser l’amélioration des conditions vie de populations de pays pauvres. L’Afrique, du fait de notre histoire coloniale, reste la priorité de notre aide au développement, y compris en matière de sécurité. L’armée française intervient en 2013 au Mali, puis dans les états voisins, pour contrer l’avancée de djihadistes : elle joue un rôle essentiel dans divers dispositifs pour maintenir la paix et favoriser le développement.

    I : Une longue histoire particulière

    1-Aspect spécifique

    1-1 L'indépendance des états africains en 1960 s'est faite sous le régime de la coopération à travers des accords de défense et d'assistance militaire pour les armées et d'accords techniques pour la coopération civile concernant le développement ; Il n'y a pas eu de rupture mais maintien de liens reposant sur une culture civile et militaire commune du fait d'appartenance aux mêmes structures de formation, de rapports étroits de camaraderie et de fraternité d'armes ou d'écoles (les présidents Pompidou et Senghor sont condisciples à l’école normale supérieure). La France a maintenu des troupes sur des bases militaires, véritables enclaves extraterritoriales, dans des pays qui lui sont proches (Sénégal, Côte d'Ivoire, Gabon, Djibouti, Cameroun, Madagascar) où elle avait des intérêts économiques et financiers avec une forte présence d'expatriés. Les accords de défense restent secrets ; ils sont à mi-chemin entre défense extérieure des états et action de police intérieure en faveur des régimes en place. Il faut replacer aussi cette situation particulière dans le cadre de la guerre froide, de la lutte "Est-Ouest" après la deuxième guerre mondiale qui se termine à la chute du mur de Berlin en 1989. Les armées françaises vont entreprendre plus de quarante interventions dont les objectifs sont différents : politiques pour le maintien en place du chef d'état ou pour favoriser son remplacement, militaires, humanitaires, parallèles, sous couvert de l'ONU, avec l'Union Européenne. Ces interventions peuvent être en même temps politiques, militaires et humanitaires comme au Tchad. Elles sont décidées par le président de la République, chef des armées, sans contrôle parlementaire. .......

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  • Quelques interrogations sur la laïcité.

     

    Regards sur son interprétation originelle

    Clément BENELBAZ,
    Maître de conférences en droit public,
    Directeur du M2 Métiers du droit et de la Justice,
    Centre de droit public et privé des obligations et de la consommation (CDPPOC),
    Université Savoie Mont-Blanc, Membre associé du CERCCLE (Université de Bordeaux)

     

    La laïcité est de plus en plus instrumentalisée, déformée, voire dévoyée. Il est devenu fréquent que des politiques, ou des personnalités, invoquent la loi de 1905 ou son esprit, afin de préconiser certaines mesures, ou afin de s’opposer à d’autres, et dictent finalement ce que la laïcité est ou non. Pourtant, leurs propositions en sont souvent à l’exact opposé, consistant en réalité à accroître les exceptions au principe (comme en augmentant les possibilités de financer les cultes, en les aidant à la construction d’édifices, etc.). Aussi, ce qui en réalité est parfois préconisé et présenté au nom de la laïcité ne correspond guère à la laïcité originelle, c’est-à-dire telle qu’elle était conçue en 1905, ce qui conduit à une certaine confusion.

    Il ne s’agit pas ici de prétendre rétablir la vérité sur la laïcité, ou d’en détenir une ; l’idée est seulement de permettre le débat d’idées sur cette question sensible, et de lever quelques idées reçues et répandues, en rappelant, notamment d’un point de vue historique, en quoi consiste la laïcité telle qu’elle était envisagée en 1905, par le législateur de l’époque, et par ceux qui l’ont forgée. Cela permet alors de constater qu’un système de pensée clair, cohérent, était conçu ; et surtout qu’un certain nombre de problèmes avaient été présagés à l’époque. En tout cas, la laïcité originelle, qu’il s’agira de rappeler, permet assurément de trouver des solutions concrètes et plus logiques car moins aléatoires. Les idées défendues ici seront peut-être être taxées de « laïcardes », voire d’anachroniques, ou simplement être considérées comme dépassées ; elles consistent à renvoyer à la conception originelle de la laïcité, qui trouve en elle-même sa défense. À l’inverse, il conviendrait que certains défenseurs d’une laïcité dite libérale, ouverte[1], ou positive, affirment clairement leur position, en signifiant le fait que celle-ci n’est pas issue directement de 1905, qu’elle est autre, et que la laïcité préconisée est alors nouvelle, ou alors renouvelée. Le débat sur la laïcité gagnerait ainsi en lisibilité et en clarté, sans doute aussi en apaisement. Il ne s’agit pas ici d’épuiser les questions toujours vives et actuelles qui se posent au sujet de la laïcité, mais de prendre quelques exemples, concrets, qui ressurgissent régulièrement, et sur lesquels un certain nombre de confusions, d’imprécisions, ou parfois d’approximations, peuvent être faites.

    Laïcité, athéisme et laïcisme sont-ils synonymes ?

    La confusion entre les termes est trop souvent faite, ce qui sert à une instrumentalisation.....

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  • Capital et idéologie - Thomas Piketti

    « L’inégalité est idéologique et politique » : les extraits exclusifs du nouveau livre de Thomas Piketty

    L’économiste français publie, jeudi 12 septembre, « Capital et Idéologie » aux éditions du Seuil, un livre qui enquête sur la formation et la justification des inégalités. En exclusivité, « Le Monde » en publie les bonnes feuilles.

    Par Thomas Piketty Publié le 04 septembre 2019 à 14h00 - Mis à jour le 06 septembre 2019 à 11h45

    Bonnes feuilles. [Après Le Capital au XXIsiècle, publié en 2013 et vendu à 2,5 millions d’exemplaires dans le monde, Thomas Piketty, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et professeur à l’Ecole d’économie de Paris, par ailleurs chroniqueur au Monde, publie, jeudi 12 septembre, Capital et Idéologie (Seuil), un livre d’enquête sur la formation et la justification des inégalités. En exclusivité, Le Monde publie des extraits de cet ouvrage de plus de 1 200 pages.]

    Prendre l’idéologie au sérieux

    L’inégalité n’est pas économique ou technologique : elle est idéologique et politique. Telle est sans doute la conclusion la plus évidente de l’enquête historique présentée dans ce livre. Autrement dit, le marché et la concurrence, le profit et le salaire, le capital et la dette, les travailleurs qualifiés et non qualifiés, les nationaux et les étrangers, les paradis fiscaux et la compétitivité, n’existent pas en tant que tels. Ce sont des constructions sociales et historiques qui dépendent entièrement du système légal, fiscal, éducatif et politique que l’on choisit de mettre en place et des catégories que l’on se donne. Ces choix renvoient avant tout aux représentations que chaque société se fait de la justice sociale et de l’économie juste, et des rapports de force politico-idéologiques entre les différents groupes et discours en présence. Le point important est que ces rapports de force ne sont pas seulement matériels : ils sont aussi et surtout intellectuels et idéologiques. Autrement dit, les idées et les idéologies comptent dans l’histoire. Elles permettent en permanence d’imaginer et de structurer des mondes nouveaux et des sociétés différentes. De multiples trajectoires sont toujours possibles.

    Les élites des différentes sociétés, à toutes les époques et sous toutes les latitudes, ont souvent tendance à « naturaliser » les inégalités

     

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  • Écologie et millénarisme 

    Un article proposé par Jean Verlucco

    Atlantico : Dans un entretien accordé récemment à BFM TV, l'ancien ministre de l'environnement Yves Cochet présentait sa nouvelle maison de campagne dans laquelle il s'est installé récemment pour faire face à "l'épuisement des ressources naturelles" que le monde connaîtra d'ici vingt ans. Pour l'homme politique, cet effondrement est inévitable et beaucoup plus proche qu'on ne le croit. Si l'urgence écologiste est un vrai sujet de préoccupation, cette tendance catastrophiste de l'écologie qui oscille entre le survivalisme et la collapsologie ne puise-t-elle pas dans la tradition millénariste ?

    Olivier Roy : le millénarisme, qui annonce la fin des temps pour entrer dans le temps du jugement dernier, c’est-à-dire le temps du salut, est présent dès le nouveau Testament. Depuis, on oscille entre deux temporalités : celle de l’imminence de la fin des temps qu’il faut aborder « toutes affaires cessantes », et au contraire celle du report indéfini, celle de la longue attente où il faut alors gérer les « affaires courantes », le quotidien, la politique politicienne, bref la société afin de ne pas tomber dans la loi de la jungle : c’est ce que dit l’apôtre Paul à propos du « katechon », ce « truc » qui empêche ou retarde le retour du Christ. Donc il y a les moments de l’urgence « les temps sont proches ! » du Prophète illuminé qui harcèle Tintin dans« l’Etoile Mystérieuse », et les moments de stabilité. On a donc dans l’histoire des bouffées récurrentes de millénarisme et l’annonce d’une apocalypse écologique en fait partie. Bien sûr cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’urgence, mais cela entraîne une certaine posture.

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  • « Les règles du conflit en démocratie ne sont plus respectées »

    Pour la sociologue Isabelle Sommier, les « dynamiques des manifestations » ont changé : des individus méfiants envers tout système font face à des policiers surarmés.

    Propos recueillis par Luc Cédelle

    Entretien. Isabelle Sommier, spécialiste des mouvements sociaux et de la violence politique, est professeure de sociologie politique à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, et chercheuse au Centre européen de sociologie et de science politique (CNRS, Paris-I, EHESS). Elle est l’auteure de nombreux ouvrages dont La Violence des marges politiques des années 1980 à nos jours, en codirection avec Nicolas Lebourg (Riveneuve, 2017), et Changer le monde, changer sa vie, enquête sur les militantes et les militants des années 1968 en France, en codirection avec Olivier Fillieule, Sophie Béroud, Camille Masclet et le collectif Sombrero (Actes Sud, 2018).

    La

    L’année écoulée a été celle d’une banalisation de la violence de rue en France. A la violence physique s’est ajoutée celle des propos, verbaux ou écrits. Cette situation, nouvelle, vous paraît-elle conjoncturelle ou appelée à s’installer ?

    Elle n’est pas vraiment nouvelle. Je dirais qu’elle remonte au moins à 2016, avec les manifestations contre la loi travail. Sans faire de prédictions, j’aurais tendance à penser qu’elle est appelée à perdurer, en raison de plusieurs phénomènes de temporalités très différentes, que la séquence 2016- 2018 a mis en lumière.

    On peut noter deux éléments communs entre 2016 et le mouvement des « gilets jaunes », commencé à l’automne 2018. D’une part, il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, de conflits longs, âpres, avec de faibles chances de succès, une donnée intégrée par les manifestants. Or, la désespérance et la tentation de la violence sont liées. Ce sont des conflits qui témoignent d’une rupture profonde avec le pouvoir, déjà présente sous la présidence de François Hollande et aggravée sous celle d’Emmanuel Macron. Le deuxième ingrédient commun est une composante violente, conséquence à la fois de manifestations sans cesse moins encadrées et d’une forte répression policière, exacerbée à partir de 2018.

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  • Catherine Kintzler : « la laïcité a produit plus de libertés...

    Catherine Kintzler : « la laïcité a produit plus de libertés que ne l’a fait aucune religion investie du pouvoir politique »

    Qu'est-ce que la laïcité ? Agrégée de philosophie, Catherine Kintzler partage sa définition d'un principe dont les contours ne cessent de susciter le débat.

     

    par Laurent Ottavi

     

    Catherine Kintzler, professeur honoraire à l’université de Lille III et vice-présidente de la société de philosophie, a enseigné une vingtaine d’années en lycée. Ses domaines de recherche touchent à la philosophie de l’art et à la philosophie politique. Son livre Penser la laïcité paru en 2014 aux éditions Minerve, est considéré comme un ouvrage de référence. Elle y propose une réflexion exigeante et passionnante sur le concept de laïcité, illustrée par de nombreux exemples. Dans la première partie de cet entretien, elle revient sur la définition de ce concept.

    Revue des Deux Mondes – La laïcité ne se réduit pas, selon vous, à la loi de 1905, loi de séparation des Églises et de l’État. Dans l’introduction de Penser la laïcité, vous écrivez que « le lieu naturel de la laïcité est la pensée des Lumières relayée par la pensée républicaine ». Peut-on en conclure que sans laïcité il n’y a pas de république française ? Quelle distinction faites-vous entre laïcité et tolérance ?

    Catherine Kintzler – La laïcité comme régime politique ne commence pas avec la loi de 1905, ni avec l’apparition du terme « laïcité » dans le vocabulaire politique. Il y a eu nombre de lois laïques bien avant : l’institution du mariage civil en 1792, les lois scolaires de la IIIe République, la loi de 1881 « sur la liberté des funérailles ». L’histoire de la législation laïque ne s’arrête pas davantage en 1905 : nous vivons une période où elle s’affine et s’étend.

    « L’idée fondamentale de Locke est qu’on ne peut pas admettre les incroyants dans l’association politique pour incapacité à former lien. »

    Mais je prendrai la question sur le terrain de la constitution des concepts, car je ne suis ni historienne ni juriste. Dans mon travail, je me suis intéressée au noyau philosophique qui, à mes yeux, soutient la laïcité et permet aussi d’en expliquer les différents aspects. Pour cela je suis remontée à la fin du XVIIe siècle. Locke, le plus grand penseur du régime de tolérance (toleration), exclut les athées de l’association politique. Lorsqu’on prend au sérieux l’argument qu’il avance pour justifier cette exclusion, on voit apparaître une question de fond qui trace le champ de vision sur lequel va s’installer le concept de laïcité :

    « Enfin, ceux qui nient l’existence d’un Dieu ne peuvent en aucune façon être tolérés. En effet, de la part d’un athée, ni la promesse, ni le contrat, ni le serment – qui forment les liens de la société humaine – ne peuvent être quelque chose de stable et de sacré ; à tel point que, l’idée même de Dieu supprimée, tous ces liens sont ruinés. » [1]

    L’idée fondamentale est qu’on ne peut pas admettre les incroyants dans l’association politique pour incapacité à former lien. Ils sont par définition déliés. On peut rétablir ici un syllogisme caché : toute association politique suppose un principe de liaison, et comme le modèle de tout lien est le lien religieux, on en conclut qu’il faut exclure les athées comme non-fiables.

    Voilà qui permet de poser la question décisive : pour faire la loi, faut-il se régler sur le modèle de la foi ? Le lien politique s’inspire-t-il d’une adhésion préalable dont le modèle est la croyance ? Locke répondait oui, mais ce grand esprit a vu le cœur de la question. Il a de ce fait tracé le champ conceptuel sur lequel va s’installer la laïcité : il a posé une question structurante.

    « La loi ne recourt pas au modèle de la foi, elle ne s’inspire d’aucun lien préexistant et ne suppose aucune forme de croyance ou d’appartenance préalable. »

    Il faut retourner la réponse pour obtenir la laïcité, mais la question de Locke est fondatrice : il n’est pas nécessaire de croire à quoi que ce soit pour construire l’association politique. La loi ne recourt pas au modèle de la foi, elle ne s’inspire d’aucun lien préexistant et ne suppose aucune forme de croyance ou d’appartenance préalable : on pense un espace zéro comme condition de possibilité de l’association politique.

    C’est un courant de la Révolution française – incarné par Condorcet – qui a opéré ce retournement, alors même que le mot laïcité n’existait pas encore. Cette conception nous mène vers la pensée d’un régime politique où la déliaison non seulement est possible, mais est principielle, qui ne se contente pas de faire coexister des communautés, mais qui se fonde d’abord sur des individus. Il fallait oser cela ! Un Contrat social formé d’atomes premiers, où le Promeneur solitaire est toujours à l’horizon.

    La séparation des Églises et de l’État est bien sûr constitutive de la laïcité, mais elle ne la spécifie pas complètement. Beaucoup de régimes de tolérance à l’anglo-saxonne ne la pratiquent pas. D’autres l’observent sans pour autant être laïques, comme les États-Unis d’Amérique. Car même dans le cadre d’une séparation Églises-État, le lien à modèle religieux que j’évoquais y est toujours présent : un discours religieux peut être tenu par les représentants de la puissance publique, l’invocation publique à Dieu, les serments prêtés sur un « livre sacré », les séances de prières publiques sont non seulement licites mais requises.

    « Le statut juridique, politique et moral des non-croyants, de tous ceux qui ne se rattachent à aucune attitude religieuse est un critère pour apprécier la laïcité. »

    Le moment religieux est politiquement cautionné et le statut moral des non-croyants est déprécié. Un régime laïque disjoint complètement le lien politique du lien religieux, y compris dans sa forme – c’est pourquoi je suis toujours un peu réticente lorsque j’entends parler de « valeurs », car un régime laïque ne peut pas s’ériger en religion civile. Le statut juridique, politique et moral des non-croyants, de tous ceux qui ne se rattachent à aucune attitude religieuse est donc un critère pour apprécier la laïcité [2].

    Le régime laïque est indissociable de la pensée qui fonde actuellement la République française : c’est un immanentisme et un atomisme politiques. Mais il ne faut pas oublier que la République française n’est pas elle-même complètement laïque, puisqu’en Alsace-Moselle par exemple existe un droit local qui reconnaît officiellement et salarie sur les deniers publics plusieurs religions.

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  • « L’agroécologie peut parfaitement nourrir 10 milliards d’humains »

    Pour l’agronome Marc Dufumier, l’agriculture doit tenir compte du fonctionnement  de l’écosystème dans sa globalité.

    Le monde en ligne – 18 juin 2019

     

     

    Professeur d’agronomie, ex-titulaire de la chaire d’agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech, Marc Dufumier prône un changement de paradigme agricole en refusant le modèle imposé par les industriels et en considérant les milieux naturels cultivés dans leur globalité et leur complexité. Son livre L’agroécologie peut nous sauver vient de paraître aux éditions Actes Sud.

    Vous êtes souvent présenté comme l’un des pionniers de l’agroécologie scientifique. De quoi s’agit-il ?

    L’agroécologie scientifique est une branche de l’écologie consacrée aux écosystèmes aménagés par les agriculteurs. Elle vise une compréhension la plus précise possible des milieux naturels domestiqués, et ce dans toute leur complexité : les interactions entre les végétaux, les hommes et les animaux mais aussi les éléments biologiques, physiques, climatiques, etc.

    C’est une approche systémique qui tente de comprendre comment les pratiques agricoles modifient, simplifient et fragilisent éventuellement les écosystèmes, et de proposer des solutions pour les faire fonctionner sans trop simplifier, ni trop fragiliser. Pour être efficace, il faut d’abord bien connaître le fonctionnement de l’écosystème dans sa globalité.

    Comment en êtes-vous venu à cette discipline ?

    En 1968, je suis parti en mission à Madagascar. J’étais un jeune agronome sortant de l’école, formaté et pétri de certitudes concernant le bien-fondé des engrais de synthèse, des variétés végétales à haut potentiel de rendement et de toutes les techniques agrochimiques. Les rizières inondées fourmillent de vie : poissons, escargots, grenouilles, canards qui s’occupaient de manger les ravageurs et les mauvaises herbes… Tout ce système fonctionnait très bien, et me voilà qui arrivais avec mon riz high-tech, mes produits chimiques, et qui tuais tous ces poissons, ces canards, ces escargots, bref, toutes les sources de protéines.

    Ces femmes malgaches m’ont dit : « Votre riziculture améliorée merci, mais on trouve que c’est plutôt une riziculture empirée. » Elles avaient entièrement raison ! J’ai eu la chance de me rendre compte très tôt que leur objet de travail était un agroécosystème d’une profonde complexité et que raisonner uniquement en termes de génétique, de rendement, d’engrais, etc., ne menait nulle part. Pour être efficace, il faut d’abord bien connaître le fonctionnement de l’écosystème dans sa globalité.

    Nous serons bientôt 10 milliards sur Terre. Une agriculture inspirée de l’agroécologie peut-elle suffire à remplir tous ces estomacs ?

    Sur un plan technique, oui, c’est parfaitement possible. Il n’y a pas de recette unique : chaque écosystème est différent. Mais il existe des points communs, comme faire usage du plus intensif à l’hectare de ce qui est le moins coûteux économiquement : l’énergie solaire, le gaz carbonique et l’azote atmosphérique pour que les plantes fabriquent glucides, lipides et protéines. Il faut également limiter au maximum l’emploi d’énergies fossiles et de produits de synthèse. Pas d’inquiétude, on peut largement nourrir 10 milliards de personnes avec une agriculture intelligente et durable.

    Par opposition à l’agriculture industrielle ?

    Cette forme de production n’est pas durable, c’est certain. Elle est extensive et grignote toujours plus de forêts et d’espaces naturels, au lieu d’intensifier à l’hectare l’emploi de ce qui ne coûte rien. Elle repose trop sur les énergies fossiles pour le fonctionnement des engins et la fabrication d’engrais azotés et de produits pesticides, dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’ils sont nocifs pour l’environnement voire pour la santé.

    En outre, elle a remplacé par des machines une force de travail agricole qui est pourtant surabondante à l’échelle mondiale, autrement dit, au prix de la pauvreté de millions de gens qui ont dû quitter l’agriculture et vivent dans des bidonvilles plutôt que de tirer un revenu et de la nourriture du travail de la terre.

    Compte tenu de la démographie, n’est-il pas difficile de tourner le dos à ces techniques ?

    Nourrir correctement et durablement l’humanité tout entière est parfaitement possible. Si aujourd’hui 820 millions de personnes ont faim, et si un milliard souffrent de carences alimentaires, cela n’a rien à voir avec un manque de nourriture, mais avec les écarts de revenus. Ce sont des pauvres qui ne parviennent pas à acheter des aliments qui pourtant existent. Pour nourrir convenablement une personne, il faut environ 200 kilos de céréales (ou équivalents) par an. La production mondiale est d’environ 330 kilos aujourd’hui. Cherchez l’erreur…

    Si des pauvres des favelas brésiliennes ont faim, c’est parce que le pays exporte son maïs et son soja vers les pays occidentaux pour nourrir nos cochons ou pour fabriquer des agrocarburants et donner à boire à nos voitures et à nos avions.

    Erik Fyrwald, directeur général de Syngenta, disait, en 2017, que « l’agriculture bio ne produira jamais assez pour nourrir le monde ». Que répondez-vous ? ............

     

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  • Pour un nouveau grand récit mondial

    Pour un nouveau grand récit mondial nourri des valeurs

    sources de l’humanité,
    condition de la survie de notre espèce.

    I. Un cruel constat : Les humains d’aujourd’hui sont orphelins de grands récits adaptés au contexte du XXIème siècle

    Dans l’histoire humaine les récits ont toujours joué un double rôle sociétal essentiel : d’une part une fonction ciment (en fournissant une grille de lecture partagée du réel, ils créent de la communication et du lien au sein des groupes humains), d’autre part une fonction levier (ils confèrent du sens à l’action collective et nourrissent les motivations individuelles). En quelques décennies les grands récits traditionnels, qu’ils soient religieux, philosophiques ou politiques se sont affaissés.

    L’histoire ancienne et récente nous fournit des exemples divers et souvent tragiques de ces grandeurs et décadences.
    Sans le récit eschatologique chrétien, jamais les croisés ne seraient partis reconquérir la Terre Sainte. On voit mal le christianisme d’aujourd’hui inspirer pareils sacrifices !

    Sans l’imaginaire fasciste, jamais le peuple allemand nazifié n’aurait traduit en acte, au prix d’un effroyable carnage, le mythe d’un Reich pour 1000 ans qui n’en a duré finalement que 12 ! La fascination et l’activisme de certaines minorités pour une organisation fasciste des sociétés suffiraient-ils à obtenir l’adhésion, ou a minima le consentement, des majorités individualistes des sociétés actuelles ?

    Durant 50 ans «la grande lueur venue de l’Est» (c’est ainsi que Romain Rolland nomma la révolution russe d’octobre 1917) a ébloui le prolétariat mondial et aveuglé de façon persistante une partie de l'intelligentsia internationale. Cette lueur, désormais bien pâle du fait de son bilan «coûts-bénéfices» globalement négatif, inspire-t-elle encore au delà du cercle restreint des nostalgiques ?

    Dans les années 1970, revigoré par le reflux massif des grands récits précédents, le libéralisme sans entrave s’est vite autoproclamé «nouvel horizon indépassable». Au terme de près de 50 ans de toute puissance mondiale, il montre aujourd’hui ses cruelles limites. Quelques grands consortiums mondiaux siphonnent la valeur produite par le travail des hommes et creusent ainsi d’abyssales inégalités qui minent les tissus sociaux. L’ADN du libéralisme, fondé sur l’addiction consumériste donc la croissance sans fin, apparaît chaque jour davantage en flagrante contradiction avec l’évidente finitude du monde et de ses ressources. Une partie grandissante de la jeunesse, inquiète des conséquences du changement climatique sur notre oecoumène présent et futur, en conteste radicalement le paradigme.

     

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  • La couleur des gilets jaunes

    par Aurélien Delpirou , le 23 novembre 2018

    La vie des Idées

    Jacquerie, révolte des périphéries, revanche des prolos… Les premières analyses du mouvement des gilets jaunes mobilisent de nombreuses prénotions sociologiques. Ce mouvement cependant ne reflète pas une France coupée en deux, mais une multiplicité d’interdépendances territoriales.

     

    La mobilisation des gilets jaunes a fait l’objet ces derniers jours d’une couverture médiatique exceptionnelle. Alors que les journalistes étaient à l’affut du moindre débordement, quelques figures médiatiques récurrentes se sont succédé sur les plateaux de télévision et de radio pour apporter des éléments d’analyse et d’interprétation du mouvement. Naturellement, chacun y a vu une validation de sa propre théorie sur l’état de la société française. Certains termes ont fait florès, comme jacquerie — qui désigne les révoltes paysannes dans la France d’Ancien Régime — lancé par Éric Zemmour dès le vendredi 16, puis repris par une partie de la presse régionale [1]. De son côté, Le Figaro prenait la défense de ces nouveaux ploucs-émissaires, tandis que sur Europe 1, Christophe Guilluy se réjouissait presque de la fronde de « sa » France périphérique — appelée plus abruptement cette France-là par Franz-Olivier Giesbert — et Nicolas Baverez dissertait sur la revanche des citoyens de base.

    Au-delà de leur violence symbolique et de leur condescendance, ces propos répétés ad nauseam urbi et orbi disent sans aucun doute moins de choses sur les gilets jaunes que sur les représentations sociales et spatiales de leurs auteurs. Aussi, s’il faudra des enquêtes approfondies et le recul de l’analyse pour comprendre ce qui se joue précisément dans ce mouvement, il semble utile de déconstruire dès maintenant un certain nombre de prénotions qui saturent le débat public. Nous souhaitons ici expliciter quatre d’entre elles, formalisées de manière systématique en termes d’opposition : entre villes et campagnes, entre centres-villes et couronnes périurbaines, entre bobos et classes populaires, entre métropoles privilégiées et territoires oubliés par l’action publique. À défaut de fournir des grilles de lecture stabilisées, la mise à distance de ces caricatures peut constituer un premier pas vers une meilleure compréhension des ressorts et des enjeux de la contestation en cours.

    Villes (Paris) contre campagnes (Province) ?

    Comme l’indique une note des services de renseignement éventée dans la presse, les initiateurs du mouvement des gilets jaunes sont........

     

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  • A propos de sionisme

    Un article ancien qui revient dans l'actualité sans avoir pris une ride

    Lettre ouverte à M. le Président de la République française

    20 juil. 2017 - par Les Invités De Mediapart - Édition : Les invités de Mediapart

     

    L’historien israélien Shlomo Sand interpelle Emmanuel Macron sur son discours, tenu en présence de Benjamin Netanyahou, pour la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv : « L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ? »

     

    En commençant à lire votre discours sur la commémoration de la rafle du Vel’d’hiv, j’ai éprouvé de la reconnaissance envers vous. En effet, au regard d’une longue tradition de dirigeants politiques, de droite, comme de gauche, qui, au passé et au présent, se sont défaussés quant à la participation et à la responsabilité de la France dans la déportation des personnes d’origine juive vers les camps de la mort, vous avez pris une position claire et dénuée d’ambiguïté : oui la France est responsable de la déportation, oui il y a bien eu un antisémitisme, en France, avant et après la seconde guerre mondiale. Oui, il faut continuer à combattre toutes les formes de racisme. J’ai vu ces positions comme étant en continuité avec votre courageuse déclaration faite en Algérie, selon laquelle le colonialisme constitue un crime contre l’humanité.

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  • La fin d’une utopie ?

    70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme : la fin d’une utopie ?

    En 1948, le texte promettait de bâtir un nouvel ordre international. Soixante-dix ans plus tard, l’universalisme décline. Entretien avec Valentine Zuber, chercheuse à l’Ecole pratique des hautes études. (par Anne Chemin)

    Publié le 06 décembre 2018 - Le Monde

    Anne Chemin : Lors de la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918, la chancelière ­allemande Angela Merkel a évoqué le 70anniversaire de la Déclaration ­universelle des droits de l’homme avec une certaine nostalgie. « Serions-nous aujourd’hui capables, en tant qu’assemblée des nations, d’approuver, comme en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Je n’en suis pas si sûre », a-t-elle affirmé. Dans quel ­contexte ce texte fondateur est-il né ?

    Valentine Zuber : Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le monde est en ruine : le conflit a fait 60 millions de victimes et il faut tout reconstruire. Ce moment représente une « fenêtre de tir » inespérée pour tous ceux, et ils sont nombreux, qui tentent d’imaginer les fondements du prochain monde : l’effroyable conflit de 1939-1945 est terminé et la guerre froide n’a pas encore commencé.

    En 1948, les vainqueurs de la guerre, qui sont des pays de tradition libérale ayant, au XVIIIsiècle, rédigé des déclarations des droits de l’homme, emportent l’adhésion de dizaines d’autres Etats. Dans le comité de rédaction se côtoient ainsi l’Américaine Eleanor Roosevelt, le Français René Cassin, mais aussi le Libanais Charles Malik, le Chinois Peng-chun Chang, le Haïtien Emile Saint-Lot, le Chilien Hernan Santa Cruz et le Soviétique Vladimir Koretsky…

    L’aventure des droits de l’homme internationaux a en réalité commencé dès 1941, avec le discours sur l’état de l’Union du président américain Franklin D. Roosevelt, qui propose, pour l’après-guerre, un nouvel ordre mondial fondé sur quatre libertés fondamentales – la liberté d’expression, la liberté de religion, la sécurité économique et la paix.

    La même année, Roosevelt et Churchill esquissent une première réorganisation du monde avec la Charte atlantique et, en 1942, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’URSS, la Chine et vingt-deux pays, tous adversaires de l’Axe, dessinent les contours d’un nouvel ordre éthique et juridique international. Ils veulent construire, après la guerre, des institutions internationales fondées sur la philosophie des droits de l’homme et diffuser, par la persuasion et le droit, les valeurs libérales et démocratiques dans le monde entier.

    « La Déclaration universelle des droits de l’homme est un projet politique global qui fait de la dignité de l’être humain

    l’alpha et l’oméga du bon gouvernement »

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  • « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »

    France Inter Billet Géopolitique Pierre Haski - 10 décembre 2018 - 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme

     

    « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », proclame l’article premier de la Déclaration signée à Paris le 10 décembre 1948. En plein débat sur les inégalités provoqué par les gilets jaunes, cet anniversaire révèle les limites de cette belle déclaration, 70 ans après.

    C’est un anniversaire qui aurait dû être célébré en grande pompe, mais qui passe relativement inaperçuu ; et pourtant, c’est au Palais de Chaillot, à Paris, que fut signée le 10 décembre 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme. Triste anniversaire il est vrai, car la promesse de ce texte fondateur de l’après-seconde guerre mondiale est loin d’avoir été tenue.

    Il y a même un incroyable effet de miroir historique à relire l’article premier que tout le monde connait, « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », et à le relier au sentiment d’inégalité qui est au cœur du mouvement des gilets jaunes en France. Cette déclaration reste un idéal vers lequel tendre, mais qui s’avère plus difficile que prévu à réaliser.

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  • « Les “gilets jaunes” replacent la question sociale au centre du jeu politique »

    Le Monde du 27 novembre 2018 - Gérard Noiriel (entretien) - Propos recueillis par Nicolas Truong

    Noiriel

    L’historien considère que ce mouvement populaire tient plus des sans-culottes et des communards que du poujadisme ou des anciennes jacqueries

     

    Nicolas Truong : Qu’est-ce qui fait, selon vous, l’originalité du mouvement des « gilets jaunes », replacé dans l’histoire des luttes populaires que vous avez étudiée dans votre dernier livre ?

    Gérard Noiriel : Dans cet ouvrage, j’ai tenté de montrer qu’on ne pouvait pas comprendre l’histoire des luttes populaires si l’on se contentait d’observer ceux qui y participent directement. Un mouvement populaire est une relation sociale qui implique toujours un grand nombre d’acteurs. Il faut prendre en compte ceux qui sont à l’initiative du mouvement, ceux qui coordonnent l’action, ceux qui émergent en tant que porte-

    parole de leurs camarades, et aussi les commentateurs qui tirent les « enseignements du conflit ». Autrement dit, pour vraiment comprendre ce qui est en train de se passer avec le mouvement des « gilets jaunes », il faut tenir tous les bouts de la chaîne.

    Je commencerais par la fin, en disant un mot sur les commentateurs. Etant donné que ce conflit social est parti de la base, échappant aux organisations qui prennent en charge d’habitude les revendications des citoyens, ceux que j’appelle les « professionnels de la parole publique » ont été particulièrement nombreux à s’exprimer sur le sujet. La nouveauté de cette lutte collective les a incités à rattacher l’inconnu au connu ; d’où les nombreuses comparaisons historiques auxquelles nous avons eu droit. Les conservateurs, comme Eric Zemmour, ont vu dans le mouvement des « gilets jaunes » une nouvelle jacquerie. Les retraités de la contestation, comme Daniel Cohn-Bendit, ont dénoncé une forme de poujadisme. De l’autre côté du spectre, ceux qui mettent en avant leurs origines populaires pour se présenter comme des porte-parole légitimes des mouvements sociaux, à l’instar des philosophes Michel Onfray ou Jean-Claude Michéa, se sont emparés des « gilets jaunes » pour alimenter leurs polémiques récurrentes contre les élites de Sciences Po ou de Normale Sup. Les « gilets jaunes » sont ainsi devenus les dignes successeurs des sans-culottes et des communards, luttant héroïquement contre les oppresseurs de tout poil.

    Nicolas Truong : La comparaison du mouvement des « gilets jaunes » avec les jacqueries ou le poujadisme est-elle justifiée ?

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